Chronique

Quand ils pensent à la politique à mener pour l’avenir de la France et de la société française, 50% des Français estiment qu’il faut « faire évoluer la société et les lois de manière progressive, plutôt que vouloir faire des changements radicaux ». À l’inverse, 50% considèrent qu’il faut « faire des changements radicaux des lois et de la société, plutôt que vouloir les faire évoluer progressivement ». Et si cette égalité parfaite laissait l’élection présidentielle plus ouverte qu’il n’y parait ? Et si cette ligne de partage venait finalement se substituer ou rendre encore plus complexe les clivages étudiés depuis plusieurs années, qui sont pourtant à leur mesure explicatifs de l’état de la société française et se recoupent souvent : le débat « ouvert »/« fermé » qui oppose ceux qui acceptent avec optimisme l’ouverture au monde et à ses changements, à ceux qui veulent plus de protection notamment face à la mondialisation économique ou culturelle, ou sa variante le débat progressistes/conservateurs. 

Depuis la mort subite du combat gauche-droite, les lignes n’en finissent plus de bouger, et les frontières de se déplacer. On le voit dans cette campagne où la radicalité impose sa marque dans le débat et s’est assez vite érigée en norme. Pas de demi-mesures, ni de réformettes, mais des propositions qui bousculent à minima, surprennent souvent, et choquent parfois. Pas d’engagements à cinq ans mais des bouleversements dont l’application est promise dès l’été, dès la fin de 2022. Pas de contraintes budgétaires, le «quoi qu’il en coûte» est passé par là. Le début de la course présidentielle s’est déroulé sur le terrain de la radicalité. Le débat Zemmour/Mélenchon avait donné le ton. Et même la primaire de la droite n’a pas échappé à ce phénomène sur les questions régaliennes notamment. Depuis, sa candidate cherche à reprendre des points dans la bataille de la crédibilité si sensible pour son électorat. 

Parce que bien sur la crédibilité reste un item essentiel de la présidentialité d’un candidat. Parce que les Français savent depuis longtemps que promettre c’est bien mais que tenir c’est mieux. Parce que même s’ils approuvent souvent les propositions dépensières, ils ne sont que 15% à penser qu’on pourra ne pas rembourser la dette supplémentaire liée au covid. 

Le graal du changement

 Les deux finalistes de 2017 sont aussi sous la pression de cet arbitrage : Marine Le Pen, tout à sa stratégie de dédiabolisation, a surinvesti ce champ, en revenant sur certains de ses marqueurs forts mais clivants, quitte à se mettre en risque pour le premier tour. Le président sortant, pas encore candidat à l’heure où nous écrivons ces lignes, a choisi ces dernières semaines de conforter sa présidentialité avant sans doute une campagne plus disruptive. Il connait le théorème de Séguéla : « Quand tu es favori, fais une campagne de challenger. » 

Envie de radicalité contre besoin de crédibilité. Sur les questions économiques et sociales, l’attachement au modèle social français donne l’avantage à l’idée d’une transformation progressive. Mais sur les questions relatives à l’identité ou à la sécurité, l’envie de bouleversements profonds se détache. Sur quel équilibre le balancier va-t-il finalement se poser ? La sortie de crise Covid ne va-t-elle pas aussi, en tournant la page de deux années de contraintes, renforcer l’attente de changement, dont on sait qu’il est le graal de toute élection ? Dans ce contexte si particulier, celle ou celui qui l’emportera sera sans doute celle ou celui qui aura réussi ce mix : radical-crédible, crédible-radical. Au delà d’une forme d’oxymore, l’équilibre dit aussi l’attente d’une société française qui ne se satisfera pas simplement de la continuité. Un équilibre difficile à trouver qui est peut-être une des clés du succès en 2022. 

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