Chronique

[Chronique] Dans le métier du conseil, où la relation personnelle est constitutive de la mission, le changement de dirigeant est toujours un moment périlleux. Pour repartir sur des bases solides, il faut savoir se remettre en cause, sans pour autant se renier.

Et puis tout bascule. Celui que vous avez accompagné depuis des années, celui avec qui vous aviez construit une relation de confiance, une forme d’intimité stratégique, celui avec qui vous avez partagé tant de combats s’en va. Départ naturel, envie d’ailleurs, mandat non renouvelé, rupture soudaine avec ses actionnaires, révolution de palais, accident de la vie, les motifs varient mais laissent souvent le consultant face à ses tourments. Dans ce métier du conseil où la relation personnelle est constitutive de la mission, où la confiance met tant de temps et d’épreuves pour se construire, le changement de dirigeant est toujours un moment périlleux, même quand au-delà du dirigeant on a accompagné l’entreprise ou l’institution. Comment continuer sans trahir ce en quoi vous avez cru ? Comment ne pas apparaitre simplement comme une forme de continuité appelée logiquement à disparaitre ? Comment se remettre en cause pour pouvoir dire en toute objectivité au « nouveau » ce qui avec « l’ancien » se faisait mais ne fonctionnait pas ? Comment convaincre qu’on peut continuer d’apporter un regard neuf ?

« On se donne six mois pour voir » 

Chaque situation de changement de gouvernance a son contexte, ses coulisses, sa spécificité. Il n’y a donc pas de manuel de survie qui ferait référence pour le consultant par gros temps. La modeste expérience forgée au fil des années par l’auteur de ces lignes se veut ici porteuse d’anecdotes plus que d’enseignements formels. Il y a des ruptures brutales. Celle ou le directeur de la communication vous convoque à 8 heures du matin et vous dit : Nouveau patron, nouvelle agence. « L’appel d’offres récemment gagné ? Ne cherche pas, tous les contrats sont rompus. » Fin de l’histoire. Il y a les transitions en douceur : « Je ne vous connais pas, mon prédécesseur m’a parlé de vous, mais je n’étais pas d’accord avec tout ce qui était fait en com, on se donne six mois pour voir si ça fonctionne entre nous. » 

Il y en a des plus complexes : l’actionnaire que vous connaissez à peine qui vous appelle le dimanche : « On va changer le management. » La question de confiance qui vous taraude : dois-je prévenir mon client, le DG, de cet appel ? Le courage de l’appel libérateur de conscience. Et la réponse digne du client dès la première seconde : « Sympa de m’avoir appelé. Je suis viré après-demain. Jusque-là vous travaillez pour moi, après vous ferez ce que vous voulez. Battez-vous, je ne vous en voudrais pas. » Et puis il y a, bien sûr, le recours à votre ami : l’appel d’offres. Celui qui, et c’est bien naturel, permet ou pas de vous relégitimer. Celui où vous ne saurez jamais si la décision de vous écarter était prise d’avance, si vous n’avez tout simplement pas réussi à convaincre que vous pouviez vous renouveler, ou si la concurrence a été cette-fois ci meilleure que vous.

La vie de consultant est faite de ces transitions et de ces révolutions. De ces virages réussis et de ces ruptures annoncées. Si c’est le lot du métier, quelques principes peuvent aider : ne pas se renier et ne pas professer le contraire de ce en quoi hier vous croyiez. Ne pas trahir la confidentialité de vos échanges passés : le dirigeant face à vous saurait que vous pourriez le trahir demain. Ne pas s’accrocher à un contrat au-delà de la protection juridique et financière qu’il procure. Quand il y a envie d’ailleurs, le contrat ne permet pas de ressusciter le désir. Savoir se remettre en cause. Ce qui était bien, ce qui était justifié il y a deux ans ne l’est plus forcément aujourd’hui. Essayer de partager un constat commun, avec le nouveau dirigeant. Cela permettra de repartir sur des bases solides et « objectivées ». Faire la preuve de son professionnalisme de son engagement intact en sur-investissant la collaboration pour se rendre indispensable. Et puis surtout, surtout, tenter de créer la confiance, ce capital immatériel dont vous aurez tant besoin pour construire la relation. Si malgré tout la rupture s’annonce, soyez philosophe. Un nouveau dirigeant vient d’être nommé dans une autre entreprise du secteur. Il veut se séparer du consultant en place. Vous connaissez bien cette activité. C’est votre chance. La vie de consultant est faite de fidélités mais aussi de recommencements.

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