Il serait dangereux pour la créativité de faire des pré-tests l’unique boussole qui guide les choix de campagnes publicitaires. Ils doivent rester un outil d’aide à la décision parmi d’autres.
En 1974, Alan Hedges publiait Testing to destruction pour mettre en garde contre une approche trop scientifique de la créativité publicitaire. 50 ans plus tard, on n’a probablement jamais autant testé la publicité, avec des techniques de plus en plus sophistiquées, mais il n’est pas certain que la qualité créative y ait vraiment gagné. En 2020, une étude de l’IPA démontrait que l’efficacité créative était à son plus bas et dans un état de «déclin catastrophique».
Plus la pression est grande sur les marketeurs pour s’assurer de l’efficacité de leurs campagnes publicitaires, dans des contextes de budgets limités et de concurrence accrue, plus la tentation est grande de passer et repasser les idées créatives à la moulinette de la recherche pour «garantir» leur succès. Ce qui revient souvent à décortiquer et sur-analyser chaque scène, chaque message, chaque mot, et disséquer l’idée créative en petits morceaux à optimiser. Ceci a tendance à la rendre moins originale, et, ironiquement, diminuer son efficacité.
Procéder de la sorte, c’est prendre la publicité trop au sérieux. C’est surestimer l’intérêt que les gens vous accordent. Nous sommes en général plus distraits que captifs. Personne n’analyse les publicités dans le détail. Qui compare les différentes propositions de marques ou bénéfices produits afin de faire son choix de manière purement rationnelle ? Procéder de la sorte, c’est aussi ne pas prendre la publicité assez au sérieux. C’est ignorer les résultats empiriques de milliers de campagnes révélant que la publicité est moins une science de la persuasion, avec des messages clés à faire retenir, que l’art de la stimulation, avec des émotions à provoquer, afin que la marque ou le produit vienne plus facilement à l’esprit au moment de l’achat.
Les travaux d’Andrew Ehrenberg, professeur à la London School of Business, ainsi que ceux de la Ehrenberg-Bass Institute (qui a publié l’un des livres les plus importants de ces dernières décennies sur le marketing : How brands grow de Bryan Sharp), sont légion sur ce sujet. La publicité est avant tout une bataille pour l’attention. Non seulement envers ses concurrents, mais aussi et surtout envers les centaines d’autres contenus auxquels les gens sont exposés chaque jour, que ce soient des vidéos TikTok ou la série Netflix du moment.
Approche émotionnelle efficace
Dans cette bataille pour l’attention, une approche plus émotionnelle est souvent bien plus efficace. Une étude analysant environ 5 000 campagnes a montré que jouer sur le levier émotionnel était, de loin, la meilleure manière de créer de l’impact et changer les comportements. Les raisons pour lesquelles une marque ou un produit vont créer de l’émotion, se distinguer et capter l’attention peuvent être «superficielles», ou perçues comme telles : un jingle entrainant, une mascotte attachante, une esthétique particulière ou encore une tonalité humoristique. Elles peuvent néanmoins être extrêmement efficaces et contribuer non seulement à l’attention mais aussi à l’attribution de marque.
Ces éléments, en réalité essentiels, sont rarement mentionnés explicitement en pré-tests, pour plusieurs raisons. D’abord, ils peuvent influer de manière inconsciente et ne pas être exprimés. Ou bien les personnes interrogées mettent en avant des raisons plus logiques (comme le message ou la démo produit) car elles sont plus «sensées», donc plus avouables. Pour paraphraser Einstein, ce qui est mesurable n’est pas toujours important et ce qui est important n’est pas toujours mesurable.
Mon propos n’est pas de dire qu’il faut moins rechercher, mais mieux rechercher : remettre plus de sérieux là où c’est important et plus de légèreté là où ça fait une différence. C’est remettre plus de substance pour nourrir la stratégie de marque à travers des recherches ethnographiques, qualitatives, ou du social listening pour mieux comprendre les barrières et aspirations profondes des gens. Et remettre plus de créativité pour lever ces barrières et nourrir ces aspirations d’une manière surprenante, intéressante et différenciante, afin de toucher les gens et que votre marque ou produit vienne plus facilement à l’esprit au moment d’achat.
L'exemple de la pub «1984» d’Apple
C’est mettre plus rigueur et de data en amont pour permettre plus de liberté et de créativité en aval. Car si la stratégie créative est basée sur des recherches solides, alignée avec les objectifs business et fondée sur un territoire de marque pertinent, on devrait faire davantage confiance à l’expérience et à l’intuition d’une équipe créative de talent qu’à l’opinion de 1 000 personnes remplissant des cases derrière un écran.
Un exemple célèbre est la pub «1984» d’Apple pour le lancement du Macintosh, qui a reçu un des pires scores jamais pré-testés à l’époque. Ceci ne l’a pas empêché de devenir une des publicités les plus iconiques de tous les temps et d’aider à vendre des millions de Mac. La raison pour laquelle cette publicité avait mal testé est probablement la même que celle qui fit son succès : le fait d’être très créative, donc originale et en dehors des normes sur lesquelles les pré-tests s’appuient. Cela souligne d’ailleurs, si on y réfléchit un peu, l’aspect assez contre intuitif des pré-tests créatifs, qui jugent la créativité par rapport à des normes, alors que, par essence, elle est censée s’en affranchir.
Cela ne veut pas dire que les pré-tests n’ont jamais d’utilité mais, si on les utilise, il faut garder en tête les biais et limites de cet outil, pour que, justement, il reste un outil d’aide à la décision parmi d’autres, et non l’unique boussole dont il faudrait suivre les directions à la lettre, et bien trop souvent, à l’image près. La publicité est un sujet trop sensible pour être laissée entre les seules mains des tests.