Les sujets liés à l'environnement gagnent en visibilité dans les médias. Mais de là à faire de tous les journalistes des climate journalists, le chemin est encore long.
«We are all climate journalists, now», écrivait The Guardian, en octobre 2021. En s’engageant pour une transformation profonde de la profession, le prestigieux quotidien britannique nous envoyait un message percutant, relayé par dix de ses managers : que l’on soit journaliste aux pages business, spécialisé en food, foot, mode ou culture, rédacteur en chef ou photographe, la profession se concentrait désormais autour d’une ligne éditoriale dominante : la crise climatique. Elle enclenchait ainsi une mutation majeure : l’avènement d’une approche journalistique transversale, irriguant tous les domaines, autour d’un seul et même étendard éditorial.
Une remise en question profonde de la profession
En franchissant ce cap révolutionnaire, la profession entamait aussi une réflexion en profondeur et une remise en question des parcours et des pratiques journalistiques, dans un environnement social et sociétal d’une complexité extrême. Depuis de nombreuses années, des chercheurs étudient la médiatisation croissante des sujets liés à l’environnement, avec comme point de départ les premiers rapports du GIEC et les grandes marches climatiques, et un moment-charnière avec la COP 21 et les accords de Paris en 2015.
Ces événements ont marqué un tournant dans la manière dont les médias traitent les questions environnementales, soulignant l'urgence de ces enjeux. Les données chiffrées montrent la progression, mais où en sommes-nous aujourd’hui ? Journalistes et transition énergétique, est-ce le même combat, comme l’annonçait The Guardian ?
Dès les années 2020, le nombre inégalé de chroniques et d’émissions, la place accrue accordée à la transition environnementale dans les JT et la presse écrite, témoignent de l’investissement des professionnels de l’information et de la prise de conscience du rôle qu’ils jouent, en tant que parties prenantes, sur les évolutions en cours. L’environnement au sens large est remonté dans la hiérarchie de l’information. Le temps qui lui est consacré dans les programmes bat, lui aussi, des records. Au-delà des volumes, la qualité monte d’un cran. Au fil des années, les rédactions traitent le sujet différemment. Les angles se diversifient. Les médias répondent ainsi aux attentes de leur public. Pour beaucoup, ils se sont adaptés, et continuent à le faire, en essayant de résoudre, non sans mal, une équation à multiples variables.
Charte pour un journalisme à hauteur de l’urgence climatique
En France, l’implication dans cette cause est palpable avec 1 800 journalistes et des dizaines de rédactions et d’organisations qui ont signé la Charte pour un journalisme à hauteur de l’urgence climatique, initiée par le média Vert.eco, en 2022. Un texte important, fruit d’un travail collaboratif entre les acteurs du secteur, mais qui doit encore convaincre. 95% de journalistes titulaires de la carte de presse en 2024 ne sont pas signataires du document et de ses 13 engagements. Le défi est en effet de taille : comment pratiquer son métier de manière à être à la hauteur de l’urgence ? On peut éventuellement présumer que de nombreux journalistes ne savent pas comment le relever.
Informer, décrypter, analyser, faire le tri dans les discours, cadrer et révéler les stratégies brouillant les messages, identifier les fakes news et les experts sérieux : si les règles du journalisme s’appliquent quel que soit son domaine, il n’en reste pas moins que le changement climatique est un sujet unique en son genre, par sa temporalité et par sa complexité. L’enjeu est complexe, les solutions sont complexes, le sujet est complexe.
Pour produire la «bonne information», le journaliste doit donc non seulement maîtriser des connaissances scientifiques, qu’en général il n’a pas, posséder une culture professionnelle étendue de tous les secteurs d’activités, mais aussi avoir la capacité de contextualiser les mobilisations sociales et politiques très engagées auxquelles il sera confronté. Enfin, de cette multiplicité de discours qui s’additionnent, se complètent, et s’affrontent dans des radicalités extrêmes, il devra extraire l’information de qualité répondant aux attentes d’un public demandeur de pédagogie et de solutions concrètes, de formats innovants et d’une information apaisante, dans un contexte de plus en plus anxiogène.
Des lacunes qui demeurent
Plusieurs études publiées par la revue scientifique Global Environmental Change pointent le chemin restant à parcourir. Qu’il s’agisse d’accroître l’espace dédié aux solutions, dans la couverture médiatique du changement climatique - par exemple, les énergies propres, les investissements des entreprises dans la décarbonation, ou l'efficacité énergétique - ou d’exercer son métier différemment, avec pour objectif d’influencer et de faire changer les comportements. De déplacer le centre de gravité du journalisme, moins axé sur la controverse et la personnalisation, et plus exigeant avec lui-même lorsqu’il s’empare de thèmes fondamentaux pour rendre l’économie neutre en carbone.
Plus exigeant, parce que mieux préparé. Pour aller dans ce sens, des médias et des écoles de journalisme proposent désormais des programmes de formation à leurs équipes et recrues pour mieux les outiller dans le traitement de cette information. A Lyon, l'événement du mix énergétique MIX-E met en avant un pack spécial journalistes pour les inviter à mieux comprendre les enjeux, les solutions énergétiques et à informer sur des réponses à la crise, en participant notamment à des ateliers de co-développement. Pourquoi pas ?
Dans tous les cas, ces initiatives nous incitent à mieux communiquer sur les activités et les solutions de nos clients, acteurs de la transition énergétique, en ayant conscience de la place à part qu’occupe le thème du changement climatique, empêtré dans ses paradoxes, dans l’univers de l’information. Les défis restent majeurs. Ainsi, si les JT de TF1, France 2 et M6 ont tous consacré du temps d’antenne aux températures anormalement élevées du mois de février 2024, et à leurs conséquences, les reportages n’ont pas jugé important d’aborder l’angle des comportements à adopter, ni présenté les solutions viables pour contrer le réchauffement climatique. En ce printemps précoce, ce constat de l'association Climat Médias souligne l’importance de la mission qu’elle s’est donnée : œuvrer pour une information de meilleure qualité pour nous pousser, tous, vers plus de responsabilité.