TRIBUNE

À force de croire que frugalité rime avec exemplarité, une majorité de dirigeants se tire une balle dans le pied. Leur docilité économique leur assure la reconnaissance des actionnaires mais cette gestion à moindres coûts entraîne l’effet inverse sur la motivation et l’engagement des salariés.

Depuis que le dogme financier s’est substitué au paternalisme économique, l’humain se limite à une ligne de coûts. Cette réalité, rejetée par nombre de DRH, drapés dans la vertu des bons sentiments sous prétexte d’investissement en formation, en RSE et en QVT (qualité de vie au travail), est pourtant le maître à penser de la majorité des « dirigeants salariés », des cadres dits plus plus, à qui on demande de savoir tenir un tableau Excel plutôt que de travailler la richesse du cœur des gens.

Des preuves ? Il suffit de constater la faible audace des DRH à imposer le coût de leurs idées aux directions financières ; la plupart des stratégies de formation se limitant au minimum syndical ; la fameuse marque employeur dont on parle beaucoup et à laquelle aucun budget n’est alloué ; ces licenciements dits économiques réalisés pour augmenter le cours de Bourse. Ou encore, la suppression des moments festifs, du plus simple au plus ambitieux…

Donnez le meilleur de vous avec toujours moins, en espérant le minimum en retour. Donnez le meilleur de vous et qu’importe votre motivation car en tant que ressources vous êtes forcément interchangeable. La frugalité nourrit la frustration de l’interchangeabilité.

Ces dirigeants qui justifient leurs résultats avec des oursins dans les poches et qui parlent plus d’humain qu’ils ne le pratiquent sont de bons petits soldats sans envergure et sans panache. Ils ne comprennent pas que c’est en période de crise que les humains ont besoin de se sentir portés, encouragés et non fliqués.

Entre frugalité et juste équilibre, il existe pourtant une voie qui repose sur la considération portée aux autres ; cette marque d’esprit qui consiste à ne pas prendre les salariés pour des numéros mais à les reconnaitre comme partenaires de la réussite collective.

Les salariés/citoyens ont besoin de voir grand pour avancer, d’être portés par une ambition collective. La confiance est leur moteur. Elle repose sur la capacité du management à entrainer et à motiver. Encore faut-il que celui-ci ait les moyens d’agir. Nous arrivons au paroxysme d’une logique kafkaïenne où personne n’est responsable de rien mais tout le monde est suspect.

Les pantins d’un système sans foi

Lorsque les « dirigeants salariés » sont mus par la peur de faire moins que l’an passé en résultat plutôt que de prendre tous les risques du dépassement, d’avoir peur de donner carte blanche aux équipes au détriment de l’audace de révéler le meilleur de chacun, ils finissent par assécher l’âme de l’entreprise et à ressembler à des petits comptables du court terme.

Ces mêmes dirigeants, souvent salués par la presse économique de l’entre-soi, sont des destructeurs de valeur humaine et marchent souvent à coté de leur propre vie. Ils sont les pantins d’un système sans foi. Dans Pour un leadership spirituel assumé – Éloge de l’authenticité, paru en janvier 2024 aux éditions Eyrolles, je propose la voix (voie) du leadership spirituel comme un véritable alignement « tête, cœur, tripes » pour incarner l’entreprise.

Face à la crise morale inédite que l’Occident traverse et au conflit entre l’avoir et l’être, les entreprises ont une responsabilité morale inédite, celle de donner confiance en la vie, en l’avenir, en la jeunesse.

Les premiers sujets d’investissements durables devraient porter sur les enjeux humains. On ne crée pas les conditions de l’audace en coupant les ailes des énergies. Plutôt que de militer pour la frugalité de façade, agissons sur tous les leviers d’engagement à commencer par la passion. Un bon dirigeant n’est jamais frugal ; il est généreux – ce qui ne veut pas dire dispendieux –, à l’écoute et responsable.

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