TRIBUNE

Réduire le leadership à une posture serait une grave erreur. Parmi les constantes des grands leaders, leur singularité et leur capacité à saisir les enjeux du moment.

La question du leadership fait régulièrement l’objet d’articles et de commentaires. A commencer par le leadership de nos politiques et de nos dirigeants économiques. Selon certains, il existerait une forme ultime de leadership vers laquelle tout responsable devrait tendre pour être visible et surtout influent : être engagé voire militant ; au plus près de «gens» (électeurs, salariés, communautés...) ; moderne et cool.

Certes, il existe dans notre paysage politique et économique de nombreux responsables pouvant se prévaloir de telles qualités, et ce depuis toujours. Dans les années 80, Richard Branson a pu donner l’impression d’être un patron «rock’n’roll» au look jeune et ancré dans son époque. Idem pour Bernard Tapie et même VGE dans les années 70, dont les plus anciens se souviennent du mouvement «Giscardisme et Modernité». Plus récemment, nous avons été nombreux à être fascinés par le charisme et la prestance de Volodymyr Zelensky, dont le leadership est incontestable.

Ce serait cependant une grave erreur de vouloir réduire le leadership à une posture et à quelques adjectifs. En réalité, il y a autant de leaders qu’il y a de dirigeants. Et vouloir singer un archétype est probablement le meilleur moyen de perdre en authenticité. Soyons clairs, jamais un patron comme Martin Bouygues, Patrick Pouyanné ou encore Bernard Arnault n’aura intérêt à être quelqu’un d’autre que lui-même.

En réalité, les grands leaders se sont toujours construits sur, au moins, quatre grandes constantes. Au premier plan desquelles, la singularité. C’est celle-ci qui doit être révélée. Contrairement à une pièce de théâtre, un patron n’est pas un comédien et se doit d’être constant dans ses attitudes, dans la durée et en toute circonstance. Son authenticité a bien plus à apporter à son organisation qu’un rôle de composition. Michel-Edouard Leclerc, l’un des dirigeants préférés des Français, en est un bon exemple. Même s’il peut être dur en affaires, sa personnalité et son apparente ouverture restent les mêmes devant les écrans comme derrière un bureau. Occuper le terrain, jouer au contraire la carte de la rareté, mettre en scène ses déplacements… Il existe autant de postures que de dirigeants et il n’y a pas besoin d’être «cool» pour être un grand leader, tant que le «parler vrai» est là.

Au service du projet de l’organisation qu’il incarne

La seconde constante semble aller de soi. Le rôle d’un grand patron ou d’un politique est d’être au service du projet de l’organisation qu’il incarne. Les grands leaders sont avant tout les porteurs d’une vision qui se doit d’être en cohérence avec la réalité de leurs organisations et, plus encore, de son action. Lorsqu’un grand patron s’engage en faveur de l’environnement en revendiquant un militantisme d’entreprise, il engage son entreprise à l’exemplarité. A défaut, il l’expose, ainsi que lui-même, au principe de réalité, souvent cruel. Ses actionnaires, salariés, clients, partenaires et autres acteurs du monde associatif, ne manqueront pas de souligner ses incohérences, voire son inconséquence. Emmanuel Faber en a fait l’amère expérience lorsqu’il était à la tête de Danone. Il est incontestable que son engagement en faveur de l’environnement était sincère et que les initiatives RSE de Danone exemplaires, mais comment concilier militantisme écologique avec les multiples contraintes d’un groupe industriel comme le sien ?

Troisième constante, savoir saisir les enjeux du moment. C’est cette capacité à comprendre le monde et à apporter une réponse forte qui fait émerger les grandes figures. L’histoire politique en est remplie, tout comme le monde de l’entreprise. On se souvient tous du film génial Le Discours d’un Roi, mettant en scène l’histoire véridique du roi George VI qui, malgré son bégaiement, a su dépasser son handicap pour prononcer sur la radio anglaise le discours d’entrée en guerre du Royaume-Uni contre l’Allemagne nazie. L’appel du 18 Juin du Général de Gaulle, le «rêve» de Martin Luther King, le combat pour les femmes de Simone Veil… Autant d’exemples de leaders qui ont marqué l’Histoire pour avoir su apporter une réponse aux questions essentielles de leur temps. De même, Bill Gates, Steve Jobs ou encore Elon Musk ont su, chacun à leur manière, constituer des modèles inspirants pour des générations d’entrepreneurs.

Des personnalités courageuses

Dernière constante, les grands leaders sont avant tout des personnalités courageuses. «N’importe qui peut tenir le gouvernail lorsque la mer est calme», dit le poète latin Publilius Syrus. C’est souvent dans les moments difficiles que le leadership d’un dirigeant se révèle au grand jour et crée de l’engagement par ses décisions. C’est une chose que d’être un patron populaire et à la mode, et c’en est une autre que de savoir prendre des décisions difficiles qui ne manqueront pas d’être commentées.

Un leader doit assumer son rôle même s’il a le devoir d’expliquer et de mettre en perspective son action. C’est le respect et l’engagement qu’il doit viser et non l’amitié de son entourage ou de l’opinion. Tous les grands leaders ont été forgés par des moments difficiles : la restructuration d’une entreprise, la fermeture d’un site, la réorganisation d’une équipe de direction, une OPA… Autant d’obstacles à franchir pour garantir la pérennité de l’entreprise et son succès futur, et gagner le respect de ses pairs.

On le voit bien, ramener le leadership à un pur exercice de forme est une profonde erreur. Le leadership est avant toute chose une question de fond et de congruence entre l’homme, son organisation et le moment, avec l’action au cœur. A défaut, l’aspirant au leadership est assuré de se construire une image fictive difficile à porter dans la durée, mais aussi de s’enfermer dans le stéréotype du moment qui ne lui permettra ni de se différencier et de faire valoir sa singularité. Car ne l’oublions jamais, c’est à la communication d’être au service du leadership et non l’inverse.

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