[Tribune] Ces dernières années, la tendance a été à une starisation des dirigeants d’entreprises, valorisant les succès individuels ainsi que les récits personnels, pétris d'ascension sociale, sans forcément mettre l’entreprise au centre. Mais le storytelling individuel pourrait bien perdre de son aura.
Si la seule image personnelle des dirigeants a pu faire lever des sommes colossales à certains par le passé, la page semble désormais tournée. La débâcle de la Silicon Valley Bank vient confirmer que la tendance n’est plus à la prise de risque déraisonnée sur la base de seuls enjeux de perception, comme l’image du CEO.
La réalité d’une entreprise est avant tout une aventure collective. Une entreprise grandit et c’est tout un écosystème qui s’organise autour d’elle : les collaborateurs tout d’abord, des clients parfois ambassadeurs, des partenaires en tout genre (technologiques, business, des recruteurs, des comptables, des agences de com…), l’Etat, les structures financières…
En matière de communication, nous observons déjà les prémices d’une diversification des porte-paroles chez les entreprises que nous accompagnons. Et pour cause, une entreprise solide ne peut reposer que sur une multiplicité de talents, une communauté, qui représente par sa pluralité une réalité solide, qui, une fois visible, est plus compréhensible, crédible, et donc davantage en position de force pour générer des ventes, recevoir des financements, recruter, s’ancrer dans la société.
Le CEO, ce héros
En France, où les excentricités d’un Elon Musk ou d’un Mark Zuckerberg seraient honnies, le CEO (de la tech) revêt les traits plus policés d’un héros balzacien, un go-getter éloquent, précoce et bon élève, qui rêve de conquérir Paris (et ses mécènes), et qui n’est pas sans rappeler la figure emblématique de notre actuel président de la République.
À chaque pays son imaginaire. Aux Etats-Unis les CEO stars de la tech sont larger than life. Tout aussi réfléchis que leurs homologues français dans un cadre privé, cette cohorte de college dropouts (étudiants ayant abandonné leur parcours académique) dont a accouché la Silicon Valley joue volontiers de son image anticonformiste, remet en cause le système éducatif et a pu compter sur le cinéma et les séries pour relayer cette image à l’international.
The Social Network, Jobs, The Playlist, WeCrashed, The Dropout, Silicon Valley, Super Pumped… Une offre pléthorique de films et de séries a mis à l’honneur la tech et ses protagonistes, quitte à en dresser un portrait sombre, mais jamais médiocre. Derrière la façade du génie solitaire et les récits cocasses, cependant, de discrets managers chevronnés à l’instar de Sheryl Sandberg (Facebook/Meta) ou de Sundar Pichai (Alphabet) ont été chargés par des fondateurs ultra-célèbres de transformer le rêve en réalité.
Les entrepreneurs du monde entier le savent : aucun succès n’est l’affaire d’un seul homme ou d’une seule femme. L’entrepreneuriat est une aventure collective qui repose sur une pluralité de talents mise au service d’une entité commune, l’entreprise, soit la transmutation d’une vision en projet.
Saisir les opportunités là où elles se trouvent
Notre époque fournit une offre de prises de paroles médiatiques pléthorique aux fondateurs d’entreprises et témoigne d’un engouement renouvelé pour l’entrepreneuriat dans notre pays comme à l’extérieur de ses frontières. Ces leviers de visibilité sont absolument à saisir.
Toutefois, l’entreprise est elle seule commun dénominateur et protagoniste d’une aventure et d’une prise de risque qui doit être raisonnée et partagée. Pour réussir à insérer la petite histoire dans l’Histoire, il faut que la réalité de l’entreprise, son offre, ses valeurs et ses talents reflètent la multiplicité des récits individuels qui forment la société.