Après la mise en examen d’Arnaud Lagardère et son remplacement «provisoire» par Jean-Christophe Thiery, Vivendi se montre soucieux de sauvegarder les apparences.
En choisissant Jean-Christophe Thiery pour prendre les rênes de Lagardère, en raison de l’interdiction de gérer qui frappe son PDG mis en examen - il a fait appel -, Vincent Bolloré a envoyé deux messages. Le premier, c’est qu’il considère ce groupe, qui représente désormais 44 % du chiffre d’affaires de Vivendi, comme un élément essentiel de son empire. C’est en effet à un fidèle d’entre les fidèles, à ses côtés depuis 2001, qu’il a confié la gestion du groupe en remplacement d’Arnaud Lagardère. Vincent Bolloré lui fait une confiance aveugle depuis qu’il a réussi à lancer ses activités médias, à savoir Direct 8 [aujourd’hui C8] et deux quotidiens gratuits, puis à contribuer au redressement de Canal+, en tant que président de son conseil de surveillance aux côtés de Maxime Saada. En outre, cet énarque est celui qui a accompagné les premiers pas de Yannick Bolloré dans les médias. Il s’agit de préparer l’entrée en Bourse d’un ensemble Lagardère-Prisma qui permettrait de favoriser des opérations en les payant en actions et serait soumis à l’AG des actionnaires en avril 2025.
Mais en même temps, comme le relève le banquier d’affaires Jean-Clément Texier, la prise en charge « provisoire » du groupe Lagardère par Jean-Christophe Thiery « en attendant la possibilité pour Arnaud Lagardère d’en reprendre la direction effective », dixit le communiqué, ne reflète en rien la volonté de hâter la fin d’un mandat qui lui a été concédé pour six ans à la fin 2023. « Jean-Christophe Thiery fait partie de la garde rapprochée de Vincent Bolloré mais cette nomination n’est ni une promotion ni une fonction à part entière car il a déjà un full-time job », estime-t-il.
Pourtant, il eut été aisé pour l’homme fort de Vivendi de tirer parti de la situation. Il a déjà les mains libres à Lagardère dont il a le contrôle. Une interdiction de gérer - décision rarissime - aurait pu servir de prétexte à l’arrivée d’un nouveau management. Au contraire, Jean-Clément Texier y voit une certaine « élégance », qui préfigure peut-être qu’en cas de rejet de son appel, l’héritier pourrait jouer les conseillers pour « mettre de l’huile dans les rouages » avec les maisons d’édition. Mieux vaut, en effet, Arnaud Lagardère que Vincent Bolloré pour servir d’interface avec des auteurs ou même des éditeurs après l’éviction d’Isabelle Saporta de la tête de Fayard.
Arnaud Lagardère est mis en examen pour des soupçons « d’achat de vote, d’abus de pouvoir et de diffusion d’information fausse ou trompeuse ». Il est aussi soupçonné d’avoir puisé dans les comptes de ses sociétés pour financer son train de vie mais, selon un communiqué, il s’agit de « faits concernant essentiellement des sociétés personnelles lui appartenant intégralement ». Se retrouverait au niveau de sa holding un subtil mélange d’héritage, de gestion de groupe qui ne produit plus les mêmes résultats que par le passé - insuffisants à son désendettement - et de divergences d’actionnaires. Alors que l’héritier aurait signé une convention ou un plaider-coupable avec l’administration fiscale, Vincent Bolloré sait qu’il n’a aucun intérêt à le fragiliser : Bernard Arnault est entré dans son holding et Bruxelles enquête sur une prise de contrôle anticipée de Lagardère. « L’élégance est mue par la nécessité de montrer qu’on doit être clean de tous les côtés », conclut Jean-Clément Texier.