Après un an de lutte acharnée par tribunaux et avocats interposés, Rodolphe Saadé remporte le quotidien marseillais « La Provence » et le fera imprimer sur les rotatives cofinancées par Xavier Niel.
Depuis le décès de Bernard Tapie le 3 octobre 2021, Xavier Niel et Rodolphe Saadé, respectivement patron d’Iliad, maison mère de Free, et PDG de CMA-CGM, se sont livrés à une lutte sans merci pour racheter les 89 % de participation du groupe Bernard Tapie dans le groupe La Provence, qui compte aussi Corse-Matin. Les observateurs ont compté les coups (bas parfois). Jean-Clément Texier (1), expert des médias, note qu’« à une époque où les ventes de la presse s’effritent, c’est important de savoir que deux milliardaires se sont livrés à un combat acharné pour ce titre marseillais ».
Lire aussi : La Provence, au cœur d'une lutte de tycoons
Xavier Niel partait avec de sérieux avantages : avoir déjà 11 % du capital via NJJ, sa holding personnelle, avoir signé un accord du vivant de Bernard Tapie lui octroyant un droit d’agrément - il pouvait mettre son veto, en tant qu’actionnaire minoritaire, à la reprise par une offre concurrente -, et avoir déjà dans ses actifs des titres de presse, dont le groupe Le Monde, Nice-Matin, France-Antilles et Paris-Turf. Il était donc le candidat logique et « légal », comme le soulignait son entourage. Mais l’homme d’affaires n’a pas su se défaire de l’étiquette de « Parisien qui débarque ».
« Le dialogue s’est mieux imbriqué avec monsieur Saadé », avoue un salarié. « Drivé par Denis Olivennes, il a trouvé les mots qui faisaient mouche », assure Jean-Clément Texier. Le premier employeur de Marseille a obtenu le ralliement de la rédaction, des syndicats et de Jean-Christophe Serfati, patron de La Provence, en proposant 81 millions (contre 20 millions côté Niel) et en assurant aux 850 salariés la pérennité de leur emploi.
Lire aussi : La Provence : CMA-CGM seul en lice, Niel vend ses parts
Pragmatiques, les deux hommes ont trouvé un accord, le 30 août. Car la situation financière du titre est critique, comme l’érosion des ventes et le climat psychosocial. Rodolphe Saadé devient donc le seul candidat. CMA-CGM rachète les 11 % détenus par Xavier Niel, au prix fort, peut-on imaginer, en raison de la survalorisation proposée par son ancien adversaire. Et CMA-CGM et NJJ créent une société commune, conjointement contrôlée et financée, pour la construction et l’exploitation d’une imprimerie dans le Var d’où sortiront les éditions futures des groupes La Provence (hors Corse Presse) et Nice-Matin (propriété de NJJ). On peut estimer son montant à 20 millions d’euros.
Mais des inconnues subsistent. Le SNJ de La Provence reconnaît que « cet accord permet de sortir de l’impasse judiciaire dans laquelle la reprise [du] groupe était dangereusement engagée », mais précise que « de nombreuses questions restent en suspens. Qui pour diriger l’entreprise ? Qui pilotera la rédaction ? Quelles conséquences cet accord aura-t-il sur l’emploi ? ». Le tribunal de commerce de Bobigny doit se prononcer sur cette cession le 30 septembre. Saadé remporte l’affaire mais Niel fait une belle opération financière via la revente du terrain de l’imprimerie de Nice-Matin et le rachat valorisé de ses parts.