Le directeur général de l'information du groupe TF1, Thierry Thuillier, revient sur la rentrée des programmes d'information, sur l'essor des téléviseurs connectés et sur l'empreinte carbone de l'audiovisuel. Il commente aussi la campagne américaine et la couverture des conflits au Proche-Orient.
La rentrée de l'information à TF1.
Elle souligne la vitalité de nos journaux et la confiance renouvelée de nos publics, avec un 13 heures au plus haut réunissant un téléspectateur sur deux, et un 20 heures où on en a jusqu'à 6,5 millions. Quant à Bonjour! La matinale, parfois secouée dans les critiques, elle a passé pour la première fois le cap des 300 000 téléspectateurs tous les jours de la semaine dernière, soit près de 10% de PDA, ce qui était un objectif de fin d'année. L'arrivée d'Alba Ventura ou de Candice Mahout a permis de donner encore plus de densité. On met aussi plus d'images et le public adhère. Du côté des magazines, Reportages fait près de 3 millions de téléspectateurs les dimanches et samedis, l'équivalent d'un prime.
Concernant LCI, dirigée depuis un mois par Guillaume Debré, sa feuille de route est de donner un tour un poil plus généraliste à la chaîne. La dominante de l'international demeure (l'Ukraine mais aussi le Proche-Orient, la Chine, les élections américaines...). S'y ajoute la politique dominée par les problématiques économiques, avec l'exigence de l'expertise la meilleure possible. L'enjeu majeur en 2025 est aussi pour nous que le bloc info voie le jour sur la TNT et que l'équité soit rétablie entre chaînes d'info. Ça nous donnera l'occasion d'être plus regardés. Je suis incapable de dire comment cela se traduira en nombre de visites de téléspectateurs par jour. Mais cela fera toujours mieux que les 6 millions que nous avons aujourd'hui là où BFMTV en a 12 millions sur le canal 15. Si on a plus de visites et qu'on cumule cela à la durée d'écoute qui est assez importante sur LCI, on peut penser qu'on aura une croissance. Et on sera en HD!
Le nouveau 20 heures de France 2 dont Anne-Sophie Lapix et Laurent Delahousse font la publicité sur des affiches.
Nous considérons qu'à chaque fois que le service public cherche à se différencier, c'est une bonne chose. Un longue session d'info, c'est bien si c'est fait pour valoriser le travail de la rédaction et mettre en avant le reportage. Cela n'a pas eu d'impact sur nos journaux puisqu'on a des écarts qu'on n'a pas connus depuis 2015. Ça prouve qu'on peut mener chacun son chemin sans s'appauvrir l'un l'autre. On a la mission d'informer, eux une mission de service public. On a gagné entre 1 et 1,5 point sur le 20 heures du lundi au dimanche et eux ont plutôt perdu un point. On est à 26% et 28% de PDA du lundi au jeudi et entre 27% et 31% le week-end. Avec une audience autour de 5,5 millions de téléspectateurs contre quelque 4 millions pour France 2.
L'essor des téléviseurs connectés et ses conséquences sur les diffuseurs de télévision.
L'équipement en smart TV, qui est devenu majoritaire aux Etats-Unis avec l'abandon progressif du câble, est une tendance qui se confirme en France. D'où l'émergence de TF1+. Cela se traduit par des accords de distribution avec les FAI, avec les constructeurs et même avec l'Arcom pour le positionnement en rang 1 sur le rail des téléviseurs connectés. Nos téléspectateurs vont devoir apprendre à cliquer sur une appli. Ce travail a été fait dès l'arrivée de Rodolphe Belmer, avec Claire Basini. Il s'accompagne d'une amélioration permanente à la fois du line up de TF1 +, avec son offre d'info (live, Top Info...), et par l'outil pour que des fonctionnalités en viennent faciliter l'usage. Quand on regarde des programmes, on préfère les voir sur un écran télé. On dit que l'usage est dans la mobilité, donc le smartphone. Mais on se rend compte quand même que l'usage dominant, notamment en soirée, passe par la télé pour partager en famille des programmes.
La Smart TV est un enjeu de renouvellement du contrat de confiance avec le téléspectateur d'un diffuseur comme TF1 dans ses rendez-vous d'information. C'est pour nous une priorité stratégique : on pense que dans trois ou quatre ans, il y aura une bascule de la TNT vers la Smart TV, avec plus de téléspectateurs équipés. Si YouTube investit l'écran télé, c'est bien parce qu'ils ont compris qu'il y avait un usage, donc des annonceurs. L'info reste un produit de live plus que de consommation décalée. Mais il y a des demandes sur des magazines comme 7 à 8, des docs ou des reportages comme ceux d'une douzaine de minutes qu'on a lancé l'an dernier pour le 20 heures.
L'audiovisuel représente un tiers du bilan carbone du numérique en raison de ses terminaux, du streaming ou de la vidéo à la demande, selon une étude Arcom/Arcep, avec l'Ademe.
Que faire ? J'entends ce constat mais les éditeurs français doivent peser pour pas grand chose dans l'ensemble des vidéos produites sur les plateformes sociales comme YouTube ou TikTok. Nous appliquons des mesures d'économies dans notre façon de fabriquer nos vidéos. C'est valable sur les plateaux depuis 2018 avec nos Led ou le contrôle de la climatisation. On a créé très en avance les conditions de la plus faible émission possible de carbone. On a aussi équipé l'ensemble de nos voitures de reportage en électrique. Quand on doit se déplacer, on utilise le train mais lorsqu'on veut être le plus vite possible sur une actualité, on est obligé de prendre l'avion. Maintenant, aller reglementer l'usage de l'utilisateur qui passe sa vie sur son smartphone ou sa Smart TV, cela me paraît complexe à moins de verrouiller le nombre d'heures. Ca existe peut-être dans certains Etats avec de l'autorité. Je ne suis pas sûr que ça puisse se faire en France.
La campagne électorale américaine et sa dynamique en faveur en Trump.
Nos équipes sur le terrain sont frappées de voir à quel point il mobilise ses militants et mène une campagne très offensive. Kamala Harris n'arrive pas à mobiliser avec la même force. En Pennsylvanie en particulier, où nous aurons deux pages spéciales d'une vingtaine de minutes dans nos journaux du week-end, on sent bien une dynamique autour de Trump. Si cet État tombe, je ne vois pas comment elle peut l'emporter. Les élections aux chambres sont aussi plutôt favorables au camp républicain. Un peu à l'image de la France, les États-Unis sont un pays extrêmement divisé. La polarisation voulue à l'époque de Bush Jr a été amplifiée par Trump. Elle se vérifie pas seulement auprès des blancs mais aussi auprès des populations d'origine hispanique qui estiment qu'il y a trop de migrants sans papier quand il devient compliqué pour elles de trouver du travail. Il y a aussi des raisons économiques qui sont un levier de dynamisme électoral important.
La couverture médiatique des conflits au Proche-Orient.
On vit un immense paradoxe. On est inondés d'images qui ne sont le plus souvent pas produites par des journalistes. Elles sont fournies par les tiers, des armées ou des groupes armés, ou par des civils. Notre double défi est à la fois de les vérifier à travers notre cellule images d'une trentaine de personnes et de continuer à envoyer des équipes sur place. Quand ils entrent sur une zone de conflit, les journalistes sont embarqués par les armées – israélienne et libanaise – ou le Hezbollah qui fait ses tours presse. À Gaza, on travaille avec des locaux, des fixeurs palestiniens, dont l'un a reçu le prix Bayeux des correspondants de guerre. On travaille par le biais d'intermédiaires. C'est imparfait mais c'est le seul moyen de raconter la vie des Gazaouis puisqu'on est empêché d'y aller. C'est d'ailleurs une tendance, qui fait qu'accompagner des troupes ukrainiennes est également compliqué - et je ne parle pas des troupes russes. Cela permet aux États de tenir à l'écart la presse indépendante.
Le licenciement de 10.000 salariés de Milee, l'entreprise de distribution de prospectus publicitaires.
Ce n'est jamais une bonne nouvelle quand on licencie des milliers de personnes, mais c'est aussi le constat d'une évolution de marché. On consomme moins de papier et c'est valable pour les prospectus, comme pour la presse print. L'usage a disparu comme pour les cartes postales ou le courrier. Ce genre de tendances nous oblige à anticiper. C'est l'anticipation et la transformation qui peuvent sauver des emplois et nous permettre d'éviter de la casse en formant mieux les personnels, et en leur proposant des alternatives.