De France Inter au Monde, de Marie Claire à Elle ou BFM Business, nombre de médias décernent chaque année leur prix à des livres. Mais pourquoi un tel engouement ?

Dans la cour pavée de l’ancien couvent des Cordeliers devenu un campus, au cœur du Quartier latin, le monde de l’édition se retrouve, mines souriantes et bronzées, pour la remise du 12e prix littéraire Le Monde des livres, ce 4 septembre à l’heure du cocktail. François Samuelson, l’agent des stars des lettres et du 7e art (Michel Houellebecq, Emmanuel Carrère ou Juliette Binoche) côtoie Héloïse d’Ormesson, fille de Jean devenue une éditrice influente. Félicité Herzog, directrice stratégie et innovation chez Vivendi (3e éditeur français avec Hachette Livres), assume sa casquette de présidente de la mythique librairie de Saint-Germain-des-Près L’Écume des Pages, tandis qu’Élisabeth Roudinesco, papesse et historienne de la psychanalyse, croise l’éditrice Sabine Wespieser. Même allure stylée, même allant, même politesse souriante, l’entre-soi saute aux yeux. « C’est le premier prix de la saison et on y tient beaucoup, nous confie en aparté Jérôme Fenoglio, le directeur du journal. D’abord parce que ça donne une occasion conviviale de se retrouver, comme une petite rentrée des classes, assure celui qui martèle à sa rédaction “Twittez moins et lisez plus de livres” ».

La particularité du prix, créé en 2013 par Jean Birnbaum, peu après son arrivée à la tête du Monde des livres et décerné ce soir à L’Agrafe de Maryline Desbiolles, lauréate du prix Femina en 1999 ? « Il vient consacrer un rapport fondateur et originel entre Le Monde et la littérature et pas seulement entre Le Monde et la scène littéraire », explique le patron du supplément littéraire. Le jury est composé de six journalistes du Monde des livres (2e meilleur jour de vente après le supplément M) et de six journalistes d’autres services. « C’est à la fois un instrument de mémoire pour souder un collectif et d’affirmation de notre attachement à la littérature vis-à-vis de l’extérieur et du milieu littéraire. » Quid des ventes ? « Je n’en sais rien car chez nous, l’éditorial prime sur le commercial, assure l’auteur de « L’Éloge de la nuance ». Je me souviens juste que lorsque nous l’avons décerné à Agnès Desarthe en 2015 pour Ce cœur changeant, l’éditeur L’Olivier, nous avait assuré qu’il y avait eu un effet avant/après sur les ventes. » Louis Dreyfus, président du directoire du groupe, confirme : « Nous avons de bons retours des éditeurs, parce qu’ils savent que les lecteurs du Monde sont de gros acheteurs de livres. Mais ce prix s’adresse avant tout à notre lectorat, qui va dans les librairies et aime la littérature. » Jérôme Fenoglio note surtout que « Le prix Le Monde offre une visibilité avec un entretien dans l’édition du lendemain. Mathieu Belezi en 2022 avec Attaquer la Terre et le Soleil (éditions Le Tripode) a ensuite décroché l’un des prix majeurs en France, celui de France Inter. » Un autre titre du groupe rejoint cet automne le club des médias décernant une médaille à un roman avec le lancement ce 18 septembre du Prix littéraire du Nouvel Obs, en partenariat avec Chanel. Il distinguera un premier roman écrit par une femme, choisi par un jury qui mêle journalistes de l’hebdo (Grégoire Leménager, Elisabeth Philippe, Amandine Schmitt et Jérôme Garcin) et personnalités du monde de l’édition avec pour la première édition Marie Ndiaye, Sarah Chiche, Hugo Lindenberg et Charlotte Casiraghi. Le lauréat sera annoncé à La Villette en juin prochain lors du Festival littéraire MOT pour Mots, MOT désignant les initiales des titres Le Monde, l’Obs et Télérama.

Aux yeux de Marie-Laure Delorme, critique littéraire depuis trente ans, aujourd’hui à Paris Match après l’avoir été pendant 27 ans au Journal du Dimanche, le Graal, « c’est le prix de la radio publique, le plus influent et le plus honnête », comprenez loin des amitiés et des intérêts parfois insidieux entre éditeurs, critiques et médias. Créé il y a cinquante ans, il est piloté par la journaliste Eva Bettan depuis vingt-cinq ans. « Ce prix, on le fait pour le plaisir, la beauté du geste et l’amour du livre », assure-t-elle. Il soumet à un jury dix livres publiés dans l’année en langue française et n’ayant pas obtenu de prix majeur, ces livres étant les préférés de 25 critiques tous supports confondus dont les noms sont tenus secrets pour éviter les pressions des attachés de presse de l’édition. Les jurés ? 24 auditeurs représentant 24 régions, 12 femmes, 12 hommes choisis par un comité de sélection maison à la lecture de la lettre de présentation qu’ils ont envoyé à la radio, qui en reçoit 2 500 environ par édition. Au final, le palmarès, « toujours surprenant », assure Eva Bettan, fait vibrer les auditeurs et les éditeurs « que je vois parfois presque en larmes de n’avoir pas été sélectionnés tant le prix est prescripteur ». Les délibérations se tiennent un dimanche. « On a cessé de faire des prévisions car à chaque fois on se trompait. Les lecteurs ont de l’audace et nous surprennent à chaque fois. » Le lendemain matin, l’heureux élu est invité dans la matinale de Nicolas Demorand avec le président du jury. Pour fêter son demi-siècle d’existence lors de la dernière édition de juin, Isabelle Huppert avait accepté de jouer ce rôle. Que provoque le bandeau rouge « Prix du Livre Inter » sur l’ouvrage distingué ? Des ventes multipliées par six en 2023 pour Attaquer la Terre et le Soleil de Mathieu Belezi, passant de 17 000 à 100 000 exemplaires vendus avec adaptations au théâtre et au cinéma signées et une pleine page dans le New York Times, rendant hommage à la perspicacité du prix. L’année précédente, Antoine Wauters a vu les ventes de son Mahmoud ou la Montée des eaux décoller de 15 000 à 62 000 exemplaires.

Des chiffres qui font rêver Emmanuel Lechypre, cofondateur du Grand Prix du livre éco BFM Business en 2023 avec Guillaume Dard, patron de Montpensier. Leur idée ? « Mettre en valeur un livre d’un niveau académique, signé par un auteur peu connu du grand public mais accessible par lui et qui fait avancer le débat économique ou sociétal du moment. » De Pour en finir avec les mafias d’Emmanuelle Auriol en 2016 à Nourrir de Sylvie Brunel, l’éventail est large mais l’effet ventes similaire à une invitation dans La Librairie de l’éco, son hebdo sur BFM Business. « Mais une fois distingués, les auteurs sont beaucoup plus souvent invités dans d’autres émissions et dans des conférences », détaille-t-il avec honnêteté. La visibilité créant de la visibilité…

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