Le média digital Booska-P a été racheté par un consortium de 17 actionnaires, à parts égales, parmi lesquels Paul Lê (Frichti), Wale Gbadamosi Oyekanmi (ex- Media.Monks), le groupe So Press et le producteur de film Sacha Ben Harroche. Interview exclusive avec Hamadou Ba, son directeur général.
Dix-huit ans que Booska-P* se démarque avec un projet éditorial autour du genre musical le plus vendu, le rap, et avec une totale indépendance financière et éditoriale. Avec Instagram comme principal source de trafic, le pure player video figure dans le top trois des médias les plus suivis sur la plateforme (2,2 millions d'abonnés), derrière Brut (4,4 millions) et Konbini (2,8 millions). Le public y répond présent, avec 1 million de visiteurs uniques par mois sur son site.
Être audible
Mais derrière les chiffres, Hamad, Amadou Ba de son vrai nom le sait bien. Ce qui fait la force d’un média, c’est sa capacité à être audible. «La rédaction a toujours su à qui elle parlait», soulignait Hamad lors d'une interview accordée à Stratégies le 19 juillet dernier dans les anciens locaux de Booska-P à Montrouge (92).
C'est pourquoi depuis plus d’un an, le média composé de treize personnes a entamé un virage éditorial axé sur le social. De quoi replacer dans le débat public «les quartiers populaires» et mettre en lumière leurs «exemples de réussite». Cette nouvelle stratégie éditoriale est notamment pilotée par Jalal Kahlioui (ex-Bondy Blog), rédacteur en chef du site, et a particulièrement été visible lors des élections européennes et législatives. «Face à l’extrême droite et jusqu’à l’élection législative, Booska-P continue de donner la parole aux électeurs et électrices que l’on devrait écouter plus souvent et qui se mobilisent face au Rassemblement National», écrivait le média sur ses réseaux sociaux.
Un changement de ton «engagé» qui ne fait pas de Booska-P un média «partisan», précise Jalal Kahlioui. Lors de l’entre-deux tours de l’élection présidentielle de 2022, Emmanuel Macron avait d'ailleurs choisit Booska-P pour «parler des enjeux qui touchent les jeunes.»
Consortium d'actionnaires
Si Booska-P atteint la rentabilité en 2022 avec un chiffre d’affaires de 2,6 millions d'euros, le média se retrouve affaibli en 2023. Il n’est pas aidé par l’évolution du marché. Meta a diminué la part des médias dans son fil d'actualités, YouTube prend de plus en plus de poids dans la diffusion et les chaînes Fast (linéaires, gratuites et financées par la publicité) se développent. «Nous avons mal géré la gestion financière», confie Hamad.
70% de ses revenus sont issus du brand content, avec des accords allant de 50 000 euros à 300 voire 500 000 euros (100 000 euros pour un « moyen deal »). 20% sont issus de la vente des campagnes display et de la création de contenus promotionnels à destination des labels ou maisons de disque. Et les 10% restants sont issus des royalties sur YouTube et de la production. «Booska-P étant producteur d’un certain catalogue de sons qui sont distribués par les plateformes de streaming, le média touche un pourcentage du nombre de streams. C’est le cas par exemple des morceaux qui sont composés dans le format «1 Son en 1 Heure» dans lequel un artiste doit réaliser un morceau de musique en une heure», précise Hamad.
Liquidation judiciaire
En février, Booska-P se retrouve donc en cessation de paiement. Le tribunal de Nanterre ouvre une procédure de redressement judiciaire par voie de cession le mois suivant. Après avoir tenté de trouver un accord avec un important acteur dans le secteur de l’audiovisuel, Booska-P doit licencier neuf collaborateurs dont un journaliste. Le 6 juin, la liquidation judiciaire de la société est prononcée.
Comment consolider son modèle économique sans dénaturer la raison d’être de Booska-P, attaché à son indépendance éditoriale ? Pari difficile en particulièrement dans le secteur des médias dont les plus grands sont detenus par des acteurs privés. Comme déjà annoncé par nos confrères de L'Informé, le média est racheté par un consortium de dix-sept actionnaires, à parts égales pour les plus actifs qui sont Paul Le, président-cofondateur de Deleev, groupe à l'origine de La Belle Vie et repreneur de Frichti, Wale Gbadamosi Oyekanmi, ex-fondateur de l’agence indépendante Dare.Win devenue Media.Monks Paris, publicitaire de l’année, le groupe So Press et le producteur de film Sacha Ben Harroche. Le montant du rachat et du CA restent confidentiels. «J’ai eu la chance de constituer un réseau d’annonceurs dans le milieu culturel notamment. Ce que je vais apporter au média, c'est mon expertise dans la gestion commerciale d'une entreprise», confie Wale Gbadamosi Oyekanmi. Son ancienne agence avait notamment remporté l’appel d’offres de Netflix France pour son budget social média lors du lancement de la plateforme en France en 2014.
D'un point de vue juridique, Booska-P a été rebaptisée «New Booska-P» mais son identité visuelle et sa promesse éditoriale restent inchangés. Culture populaire, sport, cinéma... le média continue de traiter l'actualité chaude sur ses réseaux sociaux. Mais ce rachat lui permet de développer une nouvelle verticale : faire de la co-production à destination des plateformes. «Un projet est déjà en cours de développement avec Mediawan», indique Hamad, qui a pour ambition de faire de Booska-P, une maison de production détachée de la rédaction. Installé désormais au Kremlin-Bicêtre (94), Booska-P n'a pas encore dit son dernier mot.
*cofondé par Hamad, de son vrai nom Amadou Ba, Fif Tobossi et Alexis Nouaille
* Antony Rode des Sabliers, Pingki Houang, Anice Chaglou de Letus, Fariha Shah, Reda Berrehili de Klub, Mathias Mouats et Steve Belkacimi de Asap Work, Baptiste Corval fondateur de Phenix, Idir Ait Si Amer de Tracktor, Mehdi Benhibi de flashAd et Ahmed Ottman