La journaliste qui a présenté Les Maternelles et Le Supplément à la télé revient avec un média digital, Mesdames, dédié aux femmes de plus de 45 ans rendues invisibles selon elle.
À rebours des non-dits ambiants, vous assumez vos 56 ans et revendiquez votre puissance de quinqua. C’est votre nouveau combat ?
Maïtena BIRABEN. Ce n’est pas un combat. Je suis dans l’engagement, dans la chose publique, dans la politique et dans l’écoute. Depuis 30 ans, je suis formée à écouter la société et percevoir les bas bruits, sous les radars. Avec mon associée, Alexandra Crucq, on a monté notre boîte de production il y a quatre ans et l’on a voulu lancer ce nouveau média digital, « Mesdames », pour parler aux femmes qui ont plus de 45 ans.
Comment expliquer que notre la société de consommation ne détecte pas ces femmes de plus de 45 ans ?
Je ne me l’explique pas. On meurt à 88,5 ans en moyenne pour une femme. Et vraisemblablement vous et moi, on ira jusqu’à 100 ans. C’est nouveau en fait. Notre média est gratuit et repose sur la publicité. Apple et Vyv, via un programme sur la prévoyance « Comment je me suis relevée », nous ont suivis avant le lancement. Nous avons déjà huit ou neuf annonceurs qui nous ont démarchées. On espère avoir de l’argent. C’est une véritable aventure entrepreneuriale, sur fonds propres. On a mis beaucoup d’argent dans le développement, la fabrication d’un studio et les salaires des équipes.
Ce média parle aussi de vous ?
Oui, car il y a une chose qui me passionne dans la vie, c’est moi-même. Ça m’intéresse toujours quand on me parle de moi donc je l’assume tout à fait. Je trouve ça très intelligent. La moindre des élégances, c’est de s’adresser aux gens. Comme j’aime qu’on me parle de moi, je trouve que c’est une politesse de s’adresser aux gens. Je pense que c’est malin en plus.
Quel a été le déclic pour le créer ?
Nous sommes deux femmes autour de la cinquantaine avec une solide carrière en télé. Mais la télé ne s’intéresse pas à nous. Elle ne nous raconte pas. Elle ne nous représente pas. Elle ne nous adresse pas. Après avoir proposé, avec Mesdames Productions, les Sexotuto, les Résotuto [disponibles sur Lumni de France Télévisions] et bientôt les Psychotuto, on a lancé notre média.
Avez-vous proposé ce projet aux diffuseurs de télé ?
Oui, pendant quatre ans. Nous n’avons pas réussi à le vendre. Peut-être parce qu’on propose une cible qui est hors du champ. Hors du scoop. Car vous n’êtes pas sans savoir que la fameuse ménagère de moins de 50 ans est la bible de tout. Ce réflexe est pourtant daté puisqu’aujourd’hui, 9 millions de femmes ont entre 45 et 65 ans. Elles ont du temps et de l’argent. Pourquoi le marketing ne les adresse-t-il pas ? Pourquoi la presse ne s’adresse à nous que pour nous dire d’essayer de rester belles. Je trouve ça affligeant et en même temps grandiose puisque ça nous permet de faire un média inédit qui, en trois semaines, a attiré 100 000 abonnés sur Instagram. On change le récit politique de cette tranche d’âge en posant un autre regard sur elle.
Que propose le site ?
On donne à voir le récit de la société vu par le regard de ces femmes. Donc on s’adresse à tout le monde. Comme avec Les Maternelles, car 23 ans plus tard, des gens de tous les âges et de tous les sexes me parlent encore de l’émission. C’est assez fou. Je serais très fière si mes congénères ne sont plus assignées au bonheur bas et stupide de la maternité, puis assignées à la tristesse obligatoire de la fin des règles. Je m’autodécernerais la légion d’honneur pour service rendu à la Nation. La France éternelle, les drapeaux qui claquent au vent. Car j’ai la République au cœur en fait.
L’assignation, ça vous rend dingue ?
Je ne la supporte pas. Je suis née avec un truc en plus. Je ne sais pas d’où ça vient mais je repère l’assignation à 3 000 km et j’y suis rétive. Même si j’ai été assignée comme tout le monde. Simplement, j’ai toujours ressenti un malaise face à cette situation.
Vous publiez La Femme invisible, chez Grasset, déjà dans la liste des best-sellers. Vous vous y attendiez ?
Je ne le savais pas. Tant mieux parce que ce livre est très personnel et très direct, exactement comme à l’époque des Maternelles ou de la matinale de Canal +. Il y a ce contact direct avec les gens qui m’est très précieux. C’est une chance dans la vie de pouvoir prendre la parole, de s’adresser à des gens que vous allez croiser dans la vie. C’est une émotion très forte. Et aujourd’hui, j’ai envie d’être avec. J’ai fini d’être contre. Se battre contre, c’est épuisant. Se battre pour, c’est glorieux. Et je sais que la joie est essentielle.
La journaliste de presse féminine Michèle Fitoussi publie une nouvelle newsletter My Beautiful Seventies. L’avez-vous vue ?
Oui et je trouve cela intéressant que quelqu’un de la presse féminine s’empare du sujet. Je l’ai invitée pour venir discuter sur le canapé de Mesdames. Je me réjouis de l’interviewer et qu’elle nous raconte comment elle a vécu de l’intérieur cette presse féminine, Elle, en l’occurrence, créée par Hélène Lazareff et Françoise Giroud pour faire des femmes des citoyennes. Ces marques de presse institutionnelles ont un peu perdu de vue leur cible.
Antoine de Caunes est l’ambassadeur du nouveau magazine de CMI France, Vieux. Vous portez le même engagement ?
Oui. Nous sommes dans une société qui se prive de ceux qui vieillissent. C’est une bêtise et c’est dommage. De la même manière qu’on se prive de la mort. On tourne une série sur la mort en ce moment. Elle raconte ce qui se passe dans une unité de soins palliatifs où les gens restent en moyenne 15 jours à l’hôpital de Saint-Maurice. Erwan Marinopoulos la réalise.
Si vous pouviez prendre trois mesures, quelles seraient-elles ?
Je mettrais les vieux à l’honneur. Je ferais quelque chose pour les mères célibataires, parce que ce sont des grandes oubliées de la République. On laisse des femmes et des enfants dans un désarroi invraisemblable. Je leur proposerais une idée autour de l’habitat collectif. Je mettrais en place au collège l’étude de grands textes de l’époque, très concrets, de la plaidoirie de Bobigny de Gisèle Halimi au texte de Steven Spielberg sur le métier de réalisateur.