La proposition de loi prévoyant la fusion de France Télévisions, Radio France, l’INA et France Médias Monde devra rassurer et être clarifiée en séance à l’Assemblée nationale, fin juin.

Cette fois, Rachida Dati a pris la plume. En publiant un texte dans La Tribune Dimanche, la ministre de la Culture sait qu’il lui faut encore convaincre, après deux jours de grève qui ont affecté les antennes du service public, en particulier à Radio France où 55 % des journalistes ont répondu à l’appel, selon la direction. Malgré un lobbying intense pour obtenir la suspension du projet de loi agricole, elle n’a pas pu faire passer son texte en séance publique les 23 et 24 mai, comme elle l’espérait. À moins d’improbables fenêtres parlementaires début juin, elle doit désormais attendre la semaine du 28 juin pour relancer son chantier de refonte de l’audiovisuel public qui prévoit la création d’une holding sous présidence commune le 1er janvier 2025 et une fusion pure et simple un an plus tard dans un groupe nommé « France Médias ». Cette réforme « aidera à une plus grande visibilité afin d’attirer de nouveaux publics et en particulier les jeunes », assure Rachida Dati. Mais rien n’est encore gagné. De nombreuses questions demeurent.

- Qu’est-ce qui justifie la réforme ?

À cette question, la ministre a répondu diversement depuis ses vœux, le 27 janvier, où il ne s’agissait alors que de favoriser un « audiovisuel public fort » qui « rassemble ses forces ». L’idée était seulement d'« accélérer les coopérations entre sociétés » sur le modèle de Franceinfo ou des matinales communes France Bleu/France 3. Puis, mi-février, est arrivée l’idée d’une holding et d’une présidence commune, bref, d’une nouvelle gouvernance assortie d’un engagement à un « financement pérenne dédié ». Avec l'idée de présenter dès ce printemps à l'Assemblée la proposition de loi de Laurent Lafon, déjà votée au Sénat en juin 2023. 

Fin avril, le projet longtemps porté par la droite sénatoriale d’une « BBC à la française » ressurgissait avec cette fois la perspective d’une fusion pure et simple, au 1er janvier 2026. Sa justification ? La ministre insiste sur « un risque d’affaiblissement » face à la concurrence mondiale des plateformes Netflix, Disney+ ou Prime en rappelant que l’âge moyen des téléspectateurs de France Télévisions est passé de 54 à 64 ans entre 2006 et 2023 quand celui des auditeurs de Radio France a grimpé de 52 à 56 ans. Pour elle, renforcer les coordinations à travers une entreprise unique permettra d'« amplifier les investissements nécessaires, en particulier dans le numérique ».

Les synergies visent non seulement le développement digital mais aussi l’information face aux infox et les réseaux de proximité « au service d’une couverture plus complète de la vie des territoires », selon la rapporteure Fabienne Colboc (REN). « Cela fait des années qu’on tourne autour d’une plus grande coopération, explique à Stratégies Céline Calvez, députée Renaissance. Il y a eu des avancées mais ces coopérations butent sur des arguments juridiques quand il n’y a pas la même direction. On peut constater qu’inciter ne suffit pas, on n’y arrive pas. Les coopérations ont pris du retard, voire ne se mettent pas en place ».

La ministre a voulu inscrire la perspective de la fusion, dès 2026, pour ne pas la séparer du texte sur la création de la holding, comme lors de la création de France Télévisions, et pour ne pas en faire un enjeu de la campagne de 2027. Toutefois, le débat sur les causes est loin d’être clos. N’y aurait-il pas aussi une volonté de reprise en mains à travers une une ou un président unique de France Médias qui sera certes nommée par l’Arcom mais qui dépendra entièrement de l’exécutif pour l’affectation de ses budgets ? Les paroles d’Emmanuel Macron, en décembre 2017, sur « l’audiovisuel public, honte de la République » n’ont pas été oubliées. « Je crois qu’on a un problème démocratique très grave, que les menaces qui pèsent sur l’audiovisuel public sont plus qu’avérées, a averti le député LFI Aurélien Saintoul le 14 mai, lors de la présentation de son rapport sur la TNT. Rachida Dati est bien en service commandé pour un exercice court qui durera un an, le temps de faire tomber les têtes, et pour ensuite retourner à la conquête de la Mairie de Paris. »

- Pourquoi les salariés sont-ils en colère ?

Les 16 000 collaborateurs à France Télévisions, Radio France, France Médias Monde [FMM] et l’INA sont globalement inquiets devant ce projet de fusion. Radio France, en particulier, est aux avant-postes du conflit, comme en témoignent le tiers de ses personnels en grève fin mai, selon la direction, ou encore une tribune dans Le Monde signée par 1 400 salariés. La crainte d’être aspiré par plus gros que soi ? « C’est paradoxal de se marier avec la télévision alors même que l’on développe des podcasts comme des séries à destination des enfants en ce moment, explique Matthieu Darriet, cosecrétaire national SNJ à Radio France. On disait que le son était mort mais on n’a jamais eu autant de demandes de sons, avec 3,5 milliards d’écoutes de produits de Radio France. Quant à la situation comptable, elle est à l’équilibre depuis un plan de départs volontaires de 350 personnes sur deux ans, comme l’a reconnu la Cour des comptes. »

Une fusion amènerait immanquablement une harmonisation des salaires qui coûterait dans un premier temps 30 à 50 millions d’euros par an, selon des estimations. Les synergies déployées viseraient donc à réaliser des économies dans un second temps en coupant dans les budgets. La crainte de suppressions de moyens et de réductions d’effectifs est alors dans toutes les têtes. « On a déjà vécu la holding et la fusion avec France 2 et France 3 il y a quinze ans, renchérit Antoine Chuzeville, cosecrétaire général du SNJ à France Télévisions. On a eu la fusion des rédactions nationales et la fin des JT nationaux de France 3. Ne pas fusionner, c’est protéger la diversité des journaux du service public. » En outre, ajoute-t-il, les conditions de travail en seraient affectées : « Je l’ai vécu à Radio Canada où je devais ramener des reportages, de l’image, du son, un sujet télé, un sujet radio et article web. »

Matthieu Darriet insiste aussi sur la différence d’approche avec un micro, moins intrusif qu’une caméra, comme il l’a vécu à Calais sur un témoignage dans un bâteau de sauvetage de migrants. L’idée d’une plateforme digitale commune peut être aussi séduisante mais souvent, rappelle-t-il, « nous sommes incapables de séparer le numérique de la radio ». Alors, quelles synergies de contenus pour quelle cohérence éditoriale ? « Peut-être que si elles ne convainquent pas ceux qui font le travail, c’est parce qu’elles ne sont pas positives, a estimé en commission la députée Sophie Taillé-Polian, députée écologiste Nupes. Oui, il faudrait une grande coopération pour une plateforme commune, ça c’est évident. Mais une matinale de radio filmée, ce n’est ni de la bonne radio ni de la bonne télévision. »

- Quel financement pour quelle gouvernance ?

« Il ne peut y avoir de réforme de la gouvernance sans réforme du financement - et vice-versa », a déclaré le 14 mai Jean-Jacques Gaultier en commission des affaires culturelles, député LR et coauteur avec Quentin Bataillon de la proposition de loi sur l’audiovisuel public. Il s’agit donc d’assurer un prélèvement sur les recettes publiques par une proposition de loi modifiant la loi organique relative aux lois de finance (Lolf) qui empêche, à partir de 2025, une ponction sur la TVA, qui a remplacé la redevance en 2022. « Je vous propose de sanctuariser le financement de l’audiovisuel public en modifiant la Lolf dans le cadre de la proposition de loi portant réforme du financement de l’audiovisuel public », a rappelé la ministre le 14 mai. « Il y a un effet de levier des deux côtés, il s’agit de dire à Bercy qu’on veut l’automatisation du prélèvement sur recettes mais qu’on est prêt à des réformes sur la gouvernance, et à une partie de notre majorité et à gauche, qu’on ne tombe pas dans la budgétisation mais qu’il faut en même temps arriver à rationaliser », souligne Céline Calvez (REN).

Reste que le calendrier est, de ce fait, contraint : le projet de loi de finances (PLF) arrive à l’Assemblée à la fin septembre. Que la réforme de la gouvernance ne puisse être votée dans les temps et c’est tout l’édifice qui est fragilisé lors des discussions du PLF. Aurélien Saintoul y voit une forme de chantage : « La manœuvre de l’exécutif est une manœuvre de voyou : ils ont coupé les vivres de l’audiovisuel public, ils ont saboté la redevance et ils ont mis ses dirigeantes devant une situation intenable pour passer de "il est urgent d’attendre" il y a un an à "il est urgent d’agir" ». Le député LFI rappelle d’ailleurs que cinq anciens ministres de la Culture se sont prononcés devant sa commission d’enquête pour dire que la fusion n’est « ni le moment, ni une bonne idée, ni sain, etc. »

Il restera aussi à clarifier la volonté du gouvernement de déplafonner les recettes publicitaires au grand dam des acteurs privés : à la fois en valeur pour aller au-delà des 42 millions d’euros des antennes pour Radio France sans fixer de limites pour le digital, et en durée pour la télévision, tout en respectant l’interdiction après 20 heures. « On veut se montrer conciliant avec Radio France, mais attention aux répercussions », prévient Céline Calvez, qui se dit, pour sa part, favorable à « libérer les antennes publiques de la publicité ».

- France Médias Monde, dedans ou dehors ?

C’est enfin la grande question inattendue de ce projet de réforme : quel est au juste son périmètre ? L'Institut national de l'audiovisuel pose déjà question aux syndicats qui se demandent comment l'institution pourra désormais proposer ses services de stockage d'archives à des concurrents privés.

Dans la proposition de loi, les quatre entités sont concernées (France TV, Radio France, FMM et INA). Mais depuis un amendement présenté par Béatrice Piron (REN), voté le 14 mai et proposant « d’exclure France Médias Monde de la holding », la surprise est venue de Rachida Dati qui a présenté un avis défavorable : « Il serait incongru que l’audiovisuel extérieur, héritier d’une longue histoire, ne figure pas dans le périmètre de France Médias. Mieux vaut une information de qualité au sein d’un pôle d’information renforcé disposant de professionnels et de moyens plutôt qu’un budget dédié mais faible », a-t-elle déclaré.

Dès le lendemain, le ministre des Affaires étrangères Stéphane Séjourné se déclare pourtant « favorable à l’exclusion de l’audiovisuel extérieur », ajoutant : « Et l’arbitrage, pour être très clair, que m’a fait connaître Matignon, qui est un arbitrage intergouvernemental, est favorable à l’amendement qui a été déposé ». Depuis, c’est l’expectative. « L'amendement à l'article 1 a été voté en commission mais l'article 9 bis reste en l'état, ce qui veut dire que France Médias Monde n'est plus dans la holding mais est encore dans la fusion », souligne-t-on du côté de FMM.

L’Élysée aurait donné raison au ministre en raison des implications diplomatiques de FMM. Mais le Quai d’Orsay ne contribue que pour 6 ou 7 millions sur les 300 millions du budget de FMM. Et Rachida Dati, en l’absence du soutien du Modem à la fusion, sait qu’elle a besoin de l’appui de LR, puissant au Sénat, et de son député Jean-Jacques Gaultier qui en fait un élément essentiel de son vote : « N’enfermez pas France Médias Monde, dont la vocation est mondiale, dans l’isolement », a-t-il déclaré. Dès lors, que dira la ministre de la Culture en séance publique fin juin ? « Rien n’est impossible », confie un observateur. Y compris un projet de fusion voté avec les voix du RN ?