Vincent Bolloré a cru longtemps pouvoir conserver Paris Match dans son escarcelle. Jusqu’à ce qu’une enquête approfondie de Bruxelles l’incite à se tourner vers Bernard Arnault.
L’annonce de négociations exclusives, le 27 février, en vue de la cession de Paris Match à LVMH, a créé la surprise. Pourquoi céder ce titre qui justifiait, quelques mois plus tôt, le sacrifice de Gala, alors propriété de Prisma Media (Vivendi), pour répondre aux exigences de l’UE ? On se souvient que la Commission européenne avait, le 9 juin 2023, assorti son feu vert au rachat de Lagardère par Vivendi aux cessions d’Editis et de Gala. Mais rien n’empêchait alors Vivendi de renoncer à Paris Match pour conserver le mensuel de Prisma et ainsi apporter le « remède » demandé par Bruxelles contre tout abus de position dominante dans la presse people.
Cela était d’autant plus aisé que, comme Bernard Arnault l’a reconnu en janvier 2022, après son audition devant une commission d’enquête du Sénat, il a « formalisé une offre unilatérale » le 2 avril 2021 pour « le rachat de Paris Match et du Journal du dimanche » après plusieurs réunions entre les équipes des groupes Lagardère et Les Echos-Le Parisien. On parle alors d’une offre à 80 millions d’euros.
Enquête approfondie
Et voilà que le 15 juin 2023, Reporters sans frontières [RSF] demande à Bruxelles une enquête approfondie : « Les changements importants intervenus notamment dans les rédactions du Journal du Dimanche et de manière plus prégnante encore à Paris Match pourraient tomber sous le coup d’une prise de contrôle anticipée », écrit RSF. Un « gun jumping », en droit de la concurrence, qui est susceptible de valoir une amende allant jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires mondial de Vivendi (9,6 milliards de CA en 2022).
À l’appui, RSF cite le départ « de gré ou de force » d’une vingtaine de journalistes sur 60, dont une ayant contesté la ligne éditoriale. Ou encore l’éviction d’Hervé Gattegno de la direction de la rédaction à la suite d’une une sur Zemmour présentant ses liens intimes avec sa conseillère, et celle de Bruno Jeudy, chef du service politique, après avoir critiqué des changements dans l’orientation éditoriale corrélés aux aspirations de Bolloré. Sont notamment cités la une sur le cardinal Sarah ou une mise à l’honneur d’un livre de Michel-Yves Bolloré, frère de Vincent.
Paris Match voit alors son service juridique et l’accès à ses mails sollicités par les enquêteurs de la Commission. « Ce peut-être une plaisanterie à 1 milliard d’euros », note Jean-Clément Texier, président de la Compagnie financière de communication. « Vincent Bolloré a compris que Bruxelles est une mécanique infernale qui n’est ni contournable ni un lieu de négociations soft. En vendant Paris Match, il démontre qu’il n’a pas pu le faire car seul Arnaud Lagardère le pouvait, ce qui est une façon de dire qu’on lui prête un pouvoir pré-opération qu’il n’avait pas. »
Le fait est que le dossier Paris Match n’a jamais circulé. Selon une plume du picture-magazine, il était encore question il y a quelques semaines de faire signer aux journalistes un avenant pour les inciter à participer aux médias de Bolloré. En le rachetant pour une valeur estimée à 100 millions d’euros, Bernard Arnault pourra étoffer son pôle de presse d’un magazine CSP+ puissant et influent. Il trouve aussi matière à soulager Vincent Bolloré d’un actif passé dans le rouge malgré son soutien sans faille en tant qu’annonceur.