La Cour suprême américaine à majorité conservatrice s’est colletée ce 26 février avec des lois du Texas et de la Floride, deux États du Sud dirigés par des républicains, interdisant aux réseaux sociaux de réguler à leur guise les contenus en ligne.
Il s’agit du plus important dossier à l’agenda de cette session de la Cour en matière de liberté d’expression. Le Texas et la Floride justifient leur législation respective adoptée en 2021 par la nécessité de juguler une « censure » des opinions conservatrices sur les réseaux sociaux, devenus « l’agora des temps modernes ». Ces lois avaient été votées en réaction à l’exclusion du président républicain sortant Donald Trump de principales plateformes, notamment Facebook et Twitter, à la suite de l’assaut du Capitole par des centaines de ses partisans le 6 janvier 2021.
Le paysage a sensiblement évolué depuis, en particulier avec le retour en août 2023 de Donald Trump sur Twitter, devenu X après son acquisition par le milliardaire Elon Musk, partisan d’un assouplissement des règles d’utilisation, notamment en matière de désinformation.
Premier amendement
L’association NetChoice, représentant les entreprises d’internet, et le lobby des géants de la tech, la CCIA (Computer & Communications Industry Association), ont contesté en justice les législations des deux États, notamment au motif que la modération de contenus relevait du Premier amendement de la Constitution, garantissant la liberté d’expression.
La loi texane interdit aux réseaux sociaux comptant plus de 50 millions d’utilisateurs mensuels actifs de bloquer, supprimer ou « démonétiser » des contenus en fonction des idées professées par l’utilisateur. En Floride, elle prohibe toute intervention des grands réseaux sociaux sur les publications de candidats politiques ou d'« entreprises journalistiques ». Les lois des deux États leur imposent de fournir une « explication individualisée » à l’utilisateur lorsqu’ils retirent une de ses publications.
Des juridictions fédérales ont rendu des décisions contradictoires, considérant en Floride que les activités de modération constituaient bien une « expression » mais parvenant à la conclusion inverse au Texas. La Cour suprême a suspendu l’entrée en vigueur de ces lois, le temps de statuer sur deux points : déterminer si la modération de contenus est protégée par le Premier amendement et sur la validité de la demande d’explications individualisées.
« Le Premier amendement s’applique non pas aux réseaux sociaux mais à ce que les autorités peuvent faire », a objecté le président de la Cour, le conservateur John Roberts, au conseiller juridique du Texas, Aaron Nielson. « Ce que les autorités font en l’espèce est de dire vous devez faire ceci, vous devez accepter ces personnes ou expliquer pourquoi vous ne le faites pas, ce n’est pas le Premier amendement », a poursuivi le président. « Les lois comme celles-ci, qui sont tellement larges qu’elles étouffent d’emblée l’expression, me posent un problème », a lancé la juge progressiste Sonia Sotomayor.
« Simples tuyaux »
Le Texas et la Floride tentent « d’imposer à des entités privées de donner plus d’écho à certaines voix qu’à d’autres et d’offrir à certaines personnes davantage d’audience que ce qu’elles obtiennent sur le marché des idées », a plaidé l’avocat de Netchoice, Paul Clement, leur reprochant de s’ingérer dans la « ligne éditoriale » des réseaux sociaux. Le conseiller juridique de l’État de Floride, Henry Whitaker, a décrit les réseaux sociaux comme de « simples tuyaux », niant à la modération en ligne tout caractère éditorial.
Au fil des quatre heures de débat, la plupart des juges, indépendamment de leur orientation politique, ont paru sensibles aux arguments selon lesquels le Premier amendement protégeait la modération en ligne, mais plus réticents à annuler entièrement des lois dont le champ d’application reste incertain, faute d’être entrées en vigueur. La conseillère juridique de l’administration du président démocrate Joe Biden, Elizabeth Prelogar, leur a suggéré de statuer sans se prononcer sur l’ensemble des questions soulevées, en confirmant la suspension des lois et en renvoyant l’interprétation aux tribunaux des deux États concernés. La décision de la Cour n’est pas attendue avant plusieurs mois.