L'étude publiée mercredi 14 février dans Nature révèle que les images sur internet amplifient les biais de genre, au détriment des femmes, avec un effet durable sur les utilisateurs qui y sont exposés.
Les images sur internet amplifient les biais de genre, au détriment des femmes, avec un effet durable sur les utilisateurs qui y sont exposés, selon une étude publiée mercredi 14 février dans Nature. L'image a pris depuis longtemps le pas sur le texte dans la consommation d'information sur la toile. Un mouvement amplifié par l'utilisation des réseaux sociaux sur les smartphones, où des plateformes comme TikTok, Instagram et Snapchat privilégient l'image.
L'étude menée par Douglas Guilbeault, professeur en sociologie informatique à l'Université américaine de Berkeley, montre que cette hégémonie de l'image exacerbe « les biais de genre, au détriment des femmes », en imposant une majorité d'images d'hommes, avec un effet psychologique sur les internautes. Un constat jugé « alarmant, à cause de la conséquence potentielle de renforcer des stéréotypes nuisibles, essentiellement pour les femmes, mais aussi les hommes », souligne le chercheur auprès de l'AFP.
Co-autrice de l'étude et professeure à Berkeley, Solène Delecourt cite l'« exemple très simple d'un enfant cherchant à en savoir plus sur un métier, qui ne verrait dans des images que la représentation d'un seul genre, et pourrait se dire qu'il n'est pas fait pour lui ». Un problème d'autant plus sérieux, selon l'étude, que l'« effet silencieux » d'une image est démultiplié par sa diffusion à une grande échelle sur la toile. Or, elle est « plus facilement mémorisable et émotionnellement évocatrice » que le texte.
Effet psychologique
L'équipe constituée autour de Douglas Guilbeault a passé au crible plus d'un million d'images extraites automatiquement de Google, Wikipedia et la base de films IMDb, et un corpus de plus de cent milliards de mots sur Google News. Ils ont ensuite mesuré l'association des images et textes avec près de 3.000 catégories sociales, incluant des métiers (comme médecin ou charpentier) et des rôles (comme collègue ou voisin).
Premier résultat: un biais de genre en faveur des hommes, plus présents que les femmes dans les images et les textes. Deuxième résultat: ce biais est nettement plus prononcé dans les images que dans le texte. Le biais de genre voulant par exemple que le métier d'infirmier soit une femme « est toujours plus fort dans les images que dans les descriptions textuelles de cette catégorie sur les mêmes plateformes en ligne », explique le Pr. Guilbeault. Autrement dit, « ces stéréotypes sont exagérés, ou plus forts, dans les images que dans les textes ».
L'étude montre que le phénomène n'est pas cantonné aux États-Unis - l'équipe a extrait des images depuis des adresses internet à l'étranger -, ou à une plateforme en particulier. Ce biais dans les images est plus prononcé que celui détecté dans une enquête d'opinion réalisée par les chercheurs. Il s'inscrit surtout en faux par rapport aux statistiques du Département du travail américain sur les genres et les métiers.
Mais le plus troublant a été de mesurer l'effet psychologique des images par rapport au texte.
Un effet durable
Des personnes ont cherché soit dans une base d'images, soit dans une base de texte, des descriptions de métiers liés aux sciences, à la technologie et aux arts, comme par exemple astronaute, harpiste, poète ou encore neurobiologiste. Immédiatement après, les participants ont été soumis à un test standard, l'IAT (test d'association implicite), qui mesure les biais implicites d'une personne.
« Nous avons trouvé que les personnes ayant cherché des images ont un biais de genre plus prononcé » que celles ayant cherché du texte, relève la Pr. Delecourt auprès de l'AFP. Un effet durable, puisque encore détectable trois jours plus tard. « Au bout du compte, les images influencent les gens d'une façon dont ils ne sont pas conscients », ajoute le Pr. Guilbeault. Selon lui, « on ne prête pas assez attention à ce mouvement vers une communication basée sur l'image ».
L'étude questionne la responsabilité des plateformes de contenu dans la propagation des biais de genre, et les moyens qu'elles pourraient prendre pour éviter de les accentuer. A fortiori avec le développement des outils de génération d'images basés sur l'intelligence artificielle, dont les algorithmes puisent leur matière première dans le contenu en ligne. Avec pour résultat que « les images générées par ces algorithmes reflètent toutes sortes de biais », remarque le Pr. Guilbeault.