Dans l'essai Touche Pas à Mon Peuple, l’historienne des médias Claire Sécail, chargée de recherche au CNRS, dresse un constat sans appel sur l'émission de Cyril Hanouna dont elle dénonce le populisme et la désinformation. Explications.

Quel est le point de départ de votre essai, Touche Pas à Mon Peuple, paru début janvier au Seuil ?

J’ai eu l’idée en tombant sur des travaux de politistes qui proposaient une définition du populisme qui me paraissait particulièrement pertinente pour passer ensuite à l’étude d’un cas. L’étude identifiait le populisme comme une idéologie peu substantielle, par opposition au nationalisme, au libéralisme ou au socialisme. Ces idéologies mobilisent des catégories de sens beaucoup plus élaborées avec du programmatique, du fond, du débat… Le populisme dispose de catégories assez rudimentaires : le peuple idéalisé versus l’élite corrompue. Et l’idée qu’il y a un médiateur entre les deux, un leader, qui incarne cette volonté générale du peuple. Voilà le schéma définitionnel qui permet de mieux comprendre ce qu'il se passe dans l'émission de Cyril Hanouna TPMP, que j’avais analysée pendant la campagne de 2022.

Que retenez-vous de TPMP durant cette campagne ?

Le populisme est venu s’hybrider sur le plateau par le discours et le rôle de l’animateur, Cyril Hanouna, qui distribue la parole. Au fil du temps, on observe que ce populisme a changé de camp. Jean-Luc Mélenchon était le premier à venir sur le plateau de Cyril Hanouna, où il a cru qu’il avait une arène favorable pour transmettre des messages et toucher le public des catégories populaires. Au fil de la campagne, l’émission est venue de plus en plus mettre à l’agenda des thématiques conservatrices, celles qui font l’agenda de Vincent Bolloré dans sa bataille culturelle, et ce populisme de gauche [incarné par Jean-Luc Mélenchon] s’est vu un peu privé de cette arène.

Par la suite, les polémiques autour de son traitement des affaires Lola [meutre d'une jeune fille de 12 ans par une suspecte dans l'obligation de quitter le territoire ] ou Louis Boyard [insultes contre un député LFI en défense de Vincent Bolloré] ont atteint des intensités inédites. Mais elles avaient des précédents, elles s’inscrivaient dans un continuum...

Comment ces polémiques illustrent-elles le fond du discours porté par Cyril Hanouna ?

Mon objectif était de montrer la question du populisme pénal ou de l’antiparlementarisme ordinaire qui se cache derrière ces deux moments de clash importants. C’est un travail de longue haleine, pour lequel on peut remonter à 2018 ou 2020 avec TPMP et Balance ton poste. Dès cette époque, Cyril Hanouna a entrepris de développer un discours qu’on peut qualifier de populiste au sens où il va attaquer tout ce qui relève de la démocratie représentative, au sens où ce sont des processus lents de décision, de débats… Le leader populiste a tendance à vouloir passer à l’action tout de suite, à disqualifier tout ce qui est de nature à empêcher cette volonté générale du peuple de s’exprimer.

Quels sont les autres leviers utilisés par l'animateur ?

Il simplifie à outrance les enjeux, les présente de manière un peu binaire, comme s’il n’y avait pas d’alternative entre deux propositions pour aborder une question. Les chroniqueurs peuvent avoir des arguments et nuancer un peu les choses, mais l’ambiance du plateau, avec les vannes et les clashs, ne permet pas de développer des arguments et d’apporter beaucoup de nuances.

D'un point de vue purement politique, cela revient à évacuer le fond des idées, à s’intéresser à des aspects purement anecdotiques ou artificiels, au capital sympathie d’un homme politique par exemple, plutôt qu’à ses idées. C’est un travail de dépolitisation qui se fait par le biais de cette émission.

TPMP est aussi, selon vous, une grande entreprise de désinformation. Quels sont les principaux points de vigilance à avoir ?

Les chercheurs qui ont travaillé sur des émissions hybrides d'« info-tainement » se sont longtemps demandé si ces émissions permettaient au public – assez régulièrement de catégories populaires et qui ne s’informent pas par des canaux traditionnels d’information – d’être réorienté vers le débat politique ou si au contraire, elles les en détournaient complètement. Les réponses ont été plutôt mitigées sur le rôle positif qu'ont pu jouer ce type d'émissions, qui existent depuis le milieu des années 1990. Je pense qu’avec Cyril Hanouna et TPMP, on atteint les limites de cette question : la nature de la parole politique y est clairement dégradée.

On constate aussi une responsabilité de la production de l’émission, qui n’explique pas correctement à son public la réalité des faits. C’est une émission conversationnelle où l'on échange des points de vue mais parfois sans savoir au nom de qui tel invité parle; et après l'enquête d’un journaliste, on apprend que c’était finalement un activiste d’un quelconque courant ne représentant que lui-même. On fait face une invisibilisation des positions modérées. Cela va permettre à des gens qui sont dans des formes de pensée très marginales, aux règles basiques de l’information, des complotistes, de venir toucher un public plus grand.

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