Le média panafricain Jeune Afrique est interdit au Burkina Faso, après l’avoir été au Gabon, et est en difficulté au Mali. De quoi renforcer son aura ou, au contraire, le fragiliser ?
Le 25 septembre, le Burkina Faso annonçait la suspension sur son territoire de « tous les supports de diffusion » de Jeune Afrique (journal papier, site internet). En cause ? La parution d’articles évoquant des tensions au sein de l’armée burkinabé. Après deux coups d’État en 2022, le régime transitoire y est dirigé par des militaires. Les correspondants des chaînes de télé ou de radio indépendantes ont déjà été expulsés. Mêmes difficultés pour Jeune Afrique au Mali ou au Niger. « Nous sommes, hélas, toujours dans la même situation dans ces trois pays. Nous avons dû exfiltrer nos correspondants qui ont été l’objet de menaces, explique Marwane Ben Yahmed, directeur de la publication et coactionnaire de l’entreprise (à 80 %) avec son frère Amir. Récemment, un de nos journalistes, à peine arrivé à l’aéroport de Bamako, a été aussitôt expulsé et remis dans un vol pour Paris. Ces pouvoirs nous empêchent de faire notre travail et ces situations sont très compliquées, y compris pour nos lecteurs qui ont besoin d’un niveau d’information fiable et crédible. »
Car depuis sa création en 1960, Jeune Afrique vise les élites et les décideurs politiques, économiques ou culturels. « On essaie aussi d’intéresser les futurs décideurs et tous ceux de la diaspora qui s’intéressent à l’Afrique », poursuit Marwane Ben Yahmed. Le magazine, qui est passé d’hebdo à mensuel en 2020, assure, de fait, les deux tiers de sa diffusion en France. Sur 40 877 exemplaires payés en 2022-2023 (+2.8 % sur un an), selon l’ACPM, 27 428 sont payés en France. D’où la question : garde-t-il son influence sur le continent, à l’heure où de nouveaux pouvoirs émergent en Afrique mais aussi de nouvelles réalités comme l’info massivement digitale, de nouveaux business portés par les jeunes ou les femmes, ou le recul de la francophonie dans certains pays ? Comme le souligne Yvette Jallade Maestroni, experte indépendante internationale en communication et média : « Jeune Afrique ne touche pas un lectorat populaire mais demeure le média des institutions et des élites. On le voit dans les bureaux des ministères et des ambassades. Il a longtemps été la seule source d’info fiable avant l’émergence d’internet et il garde aujourd’hui encore un réseau qui lui permet de proposer des informations exclusives notamment sur des cercles habituellement assez fermés. Quant au recul de la francophonie, il y répond avec la création de The Africa Report. »
Quid de sa mue digitale de 2020 ? « Après avoir été très ancrés sur l’hebdo, on a développé un quotidien web proposant une vingtaine d’articles inédits chaque jour ? Nous affichons 30 000 abonnés payants à notre mensuel et notre site auxquels s’ajoutent une appli et un paywall. Et malgré cela, nos réseaux sociaux Facebook et X affichent 3 à 4 millions d’abonnés », assure Marwane Ben Yahmed. Mais la marque plafonne encore à 138 000 abonnés sur Instagram et 55 000 sur YouTube. Elle compte être présente dès début 2024 sur Snapchat et TikTok. De quoi satisfaire une audience possible sur un continent où 40 % de la population a moins de 15 ans ? Et quid des femmes, dont l’esprit entrepreneurial en Afrique est massif ? « Elles représentent au moins un tiers des abonnés. L’empowerment féminin est un sujet que l’on a pris à bras-le-corps jusqu’à créer des événements ». S’adapter, toujours…