Sortie de confinement, retour du live et des festivals, plaisirs de vivre des émotions ensemble… La Sacem a pulvérisé ses records de collectes en 2022. Cécile Rap-Veber, directrice générale de la société de gestion de droits d’auteur musicaux, présente sa partition.
La Sacem a collecté 1,413 milliard d’euros de droits sur la musique en 2022, soit une progression de 34 %. Comment expliquez-vous cette performance historique ?
Cécile Rap-Veber. Cela repose sur la conjonction de plusieurs éléments. Tout d’abord la reprise des concerts, du live et d’une façon plus générale, de la musique dans les lieux publics : restaurateurs, cafés, hôtels ou cinémas, qui étaient fermés pendant la crise du covid.
Les droits généraux sont en effet revenus en faisant un bond de 93 % sur un an, à 327 millions d’euros. Et les cinémas… ?
Nous avons un accord particulier pour collecter directement les musiques ou les bandes originales des films. Et nous collectons les droits liés aux concerts projetés en live dans les salles de cinéma, comme ceux de Mylène Farmer ou d'Indochine.
Quelle est la seconde source majeure de reprise ?
Ce sont les médias (+19 %, à 353 millions d’euros), après la crise du covid où seules les chaînes d’information pure comme BFMTV, Cnews ou Franceinfo ont progressé. Les grands programmes phares des télévisions ont retrouvé leurs audiences.
Comment parvenez-vous à identifier les morceaux joués dans les lieux publics ou cafés ? Avez-vous des inspecteurs ?
Concrètement, les lieux publics sont sonorisés de quatre façons différentes. Cela peut être une télé ou une radio dans un café qui diffuse vidéos clips ou musique. Nous effectuons des sondages pour savoir quelle antenne est diffusée, sachant que chaque chaîne ou radio nous donne ses programmes. Ensuite, certains cafés diffusent leurs playlists, déclarées par les plateformes. Enfin, certaines enseignes, souvent les magasins, font appel à des sonorisateurs professionnels. Ces derniers nous donnent les playlists. Enfin, les bars à ambiance musicale se développent et proposent des concerts ou des soirées musicales.
Et pas d’inspecteurs donc ?
Non, mais une équipe de 500 personnes dédiées au réseau des droits et implantée dans 60 sites sur le territoire. Elle développe une relation privilégiée en accompagnant nos partenaires.
Et qu’en est-il du digital ?
C’est notre croissance la plus remarquable (+38 %) et notre première source de revenus, avec 492 millions d’euros. Elle repose sur deux sources. D’une part sur le répertoire de la Sacem, c’est-à-dire les droits de nos membres quand ils sont diffusés sur des plateformes comme Spotify, Apple Music ou YouTube. D’autre part, sur les grands répertoires qui nous ont rallié pour leurs droits digitaux comme Universal, Warner mais aussi des entreprises coréennes ou hongroises. L’Ascap, première société américaine de droit d’auteur, et Hipgnosis, qui gère les droits de Blondie, Neil Young, Justin Bieber ou encore les Red Hot sont des nôtres… Ces nouveaux contrats alliés à la croissance des abonnements et à des renouvellements de contrats à des meilleures conditions amènent à une croissance exponentielle qui s’appuie aussi sur la croissance de la SVOD. Nous avons aussi notre répertoire sur Amazon Prime, Apple TV et Disney. La Sacem est ainsi devenue un leader mondial.
Quels sont vos atouts pour convaincre des entreprises internationales de vous rejoindre ?
Nous avons développé des interfaces qui permettent d’adhérer en quatre clics, même de l’autre bout du monde. Et nous peaufinons les services et outils pour nos membres vers plus de transparence et de performance dont le volet avec toutes les informations qui concernent les œuvres, leurs droits. Par ailleurs, notre application unique au monde MusicStart permet dès la genèse d’une œuvre, de pouvoir la poster et la protéger qu'elle soit un texte ou de la musique. Une fois enregistrée sur la plateforme, elle est cryptée dans la blockchain. Cela laisse une trace infalsifiable et incontestable essentielle dans des procès en contrefaçon. Pour un tarif modique de 4,99 par mois mais gratuit pour les membres de la Sacem.
Côté collecte, vous affichez une diminution de vos frais. Comment y parvenez-vous ?
Nous avons lancé en 2022 un plan à trois ans, Sacem 3.0. Il porte déjà ses fruits. Nous avons redistribué 1,056 milliard d’euros soit une progression de 19,2 % en faveur des créateurs, des éditeurs de musiques et des mandants de la Sacem à travers le monde. Le ratio entre les charges d’exploitation et les collectes est de 11,65 %, soit une baisse de 3,15 points par rapport à 2021, soit le taux le plus bas jamais atteint. Les prélèvements au titre des frais de fonctionnement représentent 10,4 %, versus 12 % en 2019.
Vous fixez-vous des délais entre diffusion de la musique et rétribution aux ayants droit ?
Il nous faut récupérer les données de diffusion, les analyser et les répartir. En 2022, il y a eu 275 000 milliards de streams. Imaginez les données que cela génère. Nous mettons tout en œuvre pour que les répartitions se fassent entre trois à six mois entre la collecte et les versements. Cela peut sembler long mais l’étape de répartition est minutieuse.
Comment s’annonce la saison 2023 des festivals ?
Il y avait eu un embouteillage en 2022 parce que tout le monde a voulu revenir sur scène en même temps, et notamment les stars internationales et les artistes confirmés, aux cachets importants. La diversité et les jeunes artistes ont pu en pâtir. Ce n’est plus le cas en 2023.
Comment vont se conjuguer festivals et JO à l’été 2024 ?
Nous nous sommes très fermement et ouvertement fait entendre quand Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur a annoncé que les festivals seraient annulés à l’occasion des JO. On nous a promis finalement que les forces de l’ordre arriveraient à assurer la protection pour les JO et l’organisation des festivals. Nous y restons très attentifs.
À quoi va ressembler la collecte de demain ?
J’ai mené un comité de direction cette semaine sur le lancement de notre plan d’étude sur l’intelligence artificielle. Elle va intervenir dans nos process de paie, dans le juridique ou en RH. Il y aura des tâches qui vont être automatisées et l’on va être amené à collecter des droits en centralisant avec les fédérations notamment. Un travail doit être mené d’un point de vue politique avec les parlementaires nationaux, européens et les organisations syndicales. Nous avons demandé le lancement d’une grande étude d’impact de l’IA sur les métiers de la culture au ministère de la Culture et au ministère de la Transition numérique. Nous espérons qu’elle se mettra en place à la rentrée. Mais le relationnel est clé et l’on aura toujours besoin de l’humain pour échanger avec nos partenaires.
Ce numéro est dédié à la déconnexion. La musique est-elle l’outil le plus efficace pour y parvenir ?
La musique est un remède pour s’apaiser, une thérapie, un stimulant pour avoir la pêche, un vecteur de partage. Et elle est tellement facilement accessible aujourd’hui. Des moments les plus joyeux aux moments les plus graves, elle nous accompagne toute la vie.