Avec une diffusion en 2022 qui oscille entre -10 % et +2 %, les hebdomadaires d'actualité affrontent un marché qui se digitalise, des kiosques qui ferment et l’inflation qui affectent les ménages. Enquête sur ces fleurons de la presse.
Les résultats de diffusion des magazines d’actualité en 2022 versus 2021 sont à la peine. Mais les patrons de presse que nous avons interrogés sont à l’offensive. D’Eric Chol, directeur de la rédaction de L’Express, à Valérie Hurier, qui a succédé à Fabienne Pascaud à la tête de Télérama (478 769 ex. en diffusion France payée en 2022, soit -3,7 % sur un an), en passant par Caroline Mangez, de Paris Match, tous trouvent que leurs titres vont bien, même si leurs ventes sont en recul. Du côté de L’Obs, « nous progressons de 2,25 %, avec une DFP en 2022 de 205 524, affirme Cécile Prieur, directrice de la rédaction, et une deuxième année de résultat net positif. » Samuel Lieven, son alter ego au Pèlerin, doyen des hebdos d’actualité (150 ans en juin 2023) l’assure : « Le journal va bien dans un contexte de lente érosion depuis les années 70. Notre diffusion est juste en dessous des 100 000 exemplaires ».
- Une conjoncture difficile
Pourtant, le contexte est difficile depuis le début de l’année. Après une année 2022 dominée par l’élection présidentielle et la guerre en Ukraine, les ventes sont à la peine. « Depuis le début de l’année, c’est plus difficile même si nous avons réussi un beau numéro avec le couronnement de Charles », reconnaît Caroline Mangez. « Nous avons souffert en 2022 du fait de l’augmentation du prix du papier mais nous avons terminé l’année en positif. Les sujets sur le climat représentent 20 % de nos sujets de une », détaille de son côté Cécile Prieur, de L’Obs. Parmi les belles ventes de l’an dernier, la couverture signée depuis Moscou par Emmanuel Carrère sur la guerre en Ukraine, le scoop sur l’espion du Canard enchaîné et les dossiers noirs de Total. Mais l’année 2023 est délicate : « Tous les newsmags sont en baisse depuis janvier, poursuit-elle. C’est lié à une conjonction de facteurs : la hausse qui se poursuit du prix du papier, une information anxiogène, l’inflation et la perte des usages en kiosques. »
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- La bataille des kiosques
En 2015, on dénombrait 25 000 points de vente de presse. On en recense 20 232 en 2023 selon Culture Presse. C’est Paris Match qui y attire le plus d’acheteurs avec 118 261 exemplaires en moyenne, suivi par Télérama avec 36 211, Le Point, 31 519, et Marianne 27 295 ex. Dirigé par Valérie Toranian, Le Point voit sa politique de couvertures exclusives avec Laurent Wauquiez récemment ou ses classements des avocats ou des médecins-experts, récompensée. Télérama a entamé « une profonde promesse de renouvellement de couvertures, avec une jeune artiste comme Zaho de Sagazan, une série télé comme Succession, et l’enquête sur Adèle Haenel », incluant sa lettre d’adieu au cinéma, souligne Valérie Hurier, à laquelle on peut ajouter la grossesse de Virginie Efira. À l’inverse, le titre a boudé les anniversaires de Colette et Picasso.
Les prix de vente comptent pour beaucoup dans le succès des titres en kiosques. Paris Match se vend à 3,50 euros, Télérama, à 4 euros, Le Point, (comme L’Obs et Valeurs Actuelles) à 5,90 euros, et Marianne, à 4,40 euros. « Avec notre prix de vente élevé aujourd’hui, de 6,90 euros aujourd’hui, la bataille des kiosques est compliquée pour nous », reconnaît Eric Chol. Les kiosques numériques, qui peuvent être une ressource financière pour ces magazines, sont vus comme un complément utile ou un facteur de cannibalisation. Présent sur Cafeyn via SFR, Paris Match affiche 139 004 versions numériques par tiers. Le Point a réintégré Cafeyn après l’avoir quitté. Mais L’Obs s’en est allé : « Ces kiosques nous cannibalisent même s’ils nous apportent une notoriété », détaille Cécile Prieur dont le titre appartient au groupe Le Monde libre. Le quotidien s’est toujours refusé à y être présent.
- Le défi numérique
Les magazines cherchent à reprendre leur lecteur par la main en leur proposant une offre d’abonnement numérique attractive et un écosystème digital. La presse quotidienne nationale (PQN) n’a-t-elle pas réussi sa mue numérique ? Le Monde affiche 375 000 abonnés numériques individuels, et Le Figaro, 207 000. Mais les versions numériques représentent 68 % de la diffusion France payée de la PQN alors qu’elles ne totalisent que 21 % de celle des magazines, selon l’ACPM. Le rythme quotidien se prête davantage au digital. L’une des forces des magazines d’actu repose sur le plaisir du feuilletage, sur la qualité de l’image et du papier, et sur la mise en scène des articles. Courrier international affiche le plus d’abonnés numériques (55 689) devant Le Point (39 554), L’Obs (28 637). « On a pris le virage numérique dès 2016 et on a valorisé nos contenus exclus pour nos abonnés. Mais c’est le covid qui nous a fait décoller. Et nos abonnements sont multipliés par deux versus 2022 depuis le lancement de notre nouvelle appli en avril dernier. Dès juin, nous allons lancer une verticale sur le site dédié aux jeunes, une sorte de Courrier international ado. On y croit beaucoup », s’enthousiasme Claire Carrard, la directrice de la rédaction.
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Télérama, à la traîne avec 16 256 abonnés numériques individuels met les bouchées doubles « Nous entamons une stratégie de conquête soutenue par 5 millions d’euros d’investissement cette année dans la refonte numérique en cours de notre site et notre appli. Nous nous voulons un média global culturel avec une offre identique tous supports. On produit beaucoup mais on n’a pas su donner assez de visibilité à nos contenus, notamment de recommandations de programmes et de spectacles. Et nous proposerons des live dès la fin d’année sur le site. » Paris Match a repensé sa proposition digitale avec un plan 2022-2027. Il a relancé son site en 2022 le rendant totalement payant et mettant en avant ses collections. « On vient de lancer une nouvelle liseuse sur notre nouvelle appli et on se lance sur Swen, plateforme de publication 100 % vidéo. Le numérique rajeunit aussi notre audience à 58 ans contre plus de 60 ans avant », détaille Caroline Mangez.
- Une presse qui se réinvente
Reste que ces magazines d’actualité doivent se réinventer dans un monde où la vidéo et l’audio triomphent. « Depuis quatre ans, L’Express était en grande convalescence, depuis qu’Alain Weill l’a repris. Il a fallu entièrement le revoir, de l’offre éditoriale aux propositions numériques ». Le fondateur de BFMTV avait annoncé, en 2020, viser les 200 000 abonnés numériques en 2023. Le journal compte aujourd’hui 151 542 ex. en diffusion France payée dont 23 400 versions numériques individuelles, et 49 000 versions numériques par tiers. Les ambitions sont devenues plus réalistes. Côté Le Pèlerin, le plus en retard dans le digital, l’hebdo s’est associé à Notre Temps pour gagner en puissance sur son back-office. Son site est devenu son plus gros canal de recrutement d’abonnés, plusieurs milliers par an selon Samuel Lieven. Et l’abonnement numérique sera (enfin) mis en place d’ici à la fin de l’année.