[Edito] Agression, violences, catastrophe... aujourd’hui, tout devient un « incident ». Les mots font peur. Le « décès » d’une professeure à Saint-Jean-de-Luz ? Non, monsieur le ministre, il s'agit d'un meurtre.
Oublie-t-on jamais ses frayeurs enfantines ? La boule au ventre, les nuits blottis sous l’édredon, parce que l’on avait lu, entendu, de ces mots qui fichaient une frousse bleue, « sorcière », « squelette », « fantôme », « sang » ? Bien des années après, certains mots continuent, semble-t-il, à terrifier les plus grands. Ainsi, le ministre de l’Éducation Pap Ndiaye exprimait, le 22 février, son « immense émotion suite au décès aujourd’hui d’une professeure à Saint-Jean-de-Luz ». Réponse d’un internaute : « Ce n’est pas un “décès”, monsieur le Ministre. C’est un MEURTRE. » Un peu plus, et sur le drame, on allait employer un mot à la mode : « Incident. » Agression, violences, catastrophe, voire… accident, aujourd’hui, tout devient un « incident ».
Un peu comme les funèbres « incidents voyageurs » de la RATP ou de la SNCF, dont tout le monde sait très bien ce qu’ils désignent, comme l’expliquait en 2010 Tonino Serafini, dans Libération : « En raison d’un incident voyageur, le trafic est perturbé.” Pendant longtemps, la SNCF a misé sur le non-dit concernant les suicides sur les rails. Par peur d’un effet de contagion, elle hésitait à briser le tabou. » Étrange époque où, d’un côté, on hyperbolise à outrance (l’épouvantable « belle journée », l’hypocrite « bienveillance »), et de l’autre, on euphémise à l’envi. Comme pour protéger de grands enfants pas très dégourdis, rendus incapables de se confronter à un autre mot bien plus terrorisant : le réel.