Tribune
En réduisant les déplacements, le Covid-19 a mis le quotidien au cœur des publications sur Instagram. Ainsi est né le «photo dump», une première étape vers un retour à la spontanéité originelle de la plateforme.

Personne ne l’ignore : la pandémie du Covid-19 a eu des répercussions dans beaucoup de domaines, des conditions de travail à la psychologie, en passant par le changement de consistance du beurre au Canada. Les réseaux sociaux n’échappent pas à ces transformations et cela se traduit, notamment sur Instagram, par l’émergence d’une nouvelle tendance créative : les «photos dumps».

Avec les confinements et les restrictions de déplacements, il est devenu plus difficile pour les créateurs d’alimenter leur feed avec les couchers de soleils habituels, les photos de food du dernier restaurant trendy, ou encore d’exhiber son «outfit of the day», sachant que toutes les journées se ressemblent, et les survêtements aussi. En résumé : nous avons moins d’occasions de shooter des contenus remarquables et les lignes éditoriales de chacun doivent s’adapter.

Face à cette pénurie de matière première, et soucieux de continuer d’alimenter l’ogre algorithmique, les créateurs se sont naturellement tournés vers l'une des seules sources de contenu disponible : le quotidien. Ainsi est né le «photo dump», qu’on pourrait franciser en «cascade de photos», «tas de photos» ou même «dépotoir».

Retour à l’authenticité

D’après Harry Hill, on peut définir le photo dump comme ceci : «une série de cinq photos ou plus, décorrélées entre elles, sans liens thématiques, chronologiques ou esthétiques, issues de la pellicule récente, et diffusées dans le but de partager plusieurs émotions». Il s’agit ni plus ni moins d’aller piocher dans son caméra roll quelques-unes des dernières photos, d’y coller une légende laconique et de partager le tout sur son feed. Parmi les personnalités à s'y être essayées, Sophie Turner, Gigi Hadid ou encore Ariana Grande.

Le photo dump célèbre finalement un retour à l’authenticité des débuts d’Instagram. En enfermant les créateurs chez eux et en les privant de matière «instagrammable», le Covid-19 a remis le banal au centre des sujets photographiques. Le dumping célèbre la normalité. Mieux, il sonne la révolte contre l’esthétique du réseau et sa pression sociale.

L’esthétique pré-covid en prend un coup. Là où il y a deux ans, nous déroulions des feeds parfaits, calibrés sur des grids à la colorimétrie sur-mesure, aux triptyques rigoureusement thématiques, les feeds d’aujourd’hui se remplissent de cadrages approximatifs, d’expositions ratées et de mises au point hasardeuses.

Faire retomber la pression

Les photos dumps transforment les grilles en patchworks asymétriques et cela fait du bien de revoir du naturel sur Instagram, de laisser les filtres de côté et de se concentrer un peu sur les émotions. Le photo dump procure cette joie de faire retomber la pression de la photo parfaite, l’angoisse du cliché qui flop ou qui ne «match» pas avec une ligne éditoriale définie et attendue. Ces tas de photos sont une respiration dans des fils d’actualité devenus trop artificiels. Le photo dump est une première étape vers un retour à la spontanéité originelle d’Instagram.

Pour autant, ce n'est pas une tendance réellement nouvelle. On en faisait déjà sur MySpace ou Skyblog, en publiant les photos des dernières vacances dans l’attente des fameux «lâchés de com’». Ce qui a changé, c’est la pression sociale autour de l’image et de la représentation de soi. Souvenez-vous : on se montrait en très gros plan, toute acné et appareils dentaires sortis.

C’est tellement impensable aujourd’hui que les plus jeunes préfèrent les «Finstagrams», des comptes fake Instagram, plutôt que de se livrer sur leurs comptes principaux. La bonne nouvelle du photo dump ? Les jeunes s’y mettent, la pression sociale retombe, le naturel revient. Faut-il y voir pour autant un retour en fanfare de l’authenticité sur Instagram ? Pas sûr.

Chassez l’artificiel, il revient au galop

Si la multiplication des photos dumps et le recul des codes esthétiques ultra-léchés est notable, on ne peut pas pour autant affirmer que la mise en scène de la réalité est terminée. Combien de temps va-t-il s'écouler encore avant que les photos dumps ne soient à leur tour mises en scène ?

Ne soyons pas dupe, c’est certainement déjà le cas. Instinctivement, on aura tendance à choisir la plus jolie photo d’une série à insérer dans un carrousel. Tout aussi naturellement, des marques ou des influenceurs vont s’emparer de cette tendance et la rendre moins spontanée.

C’est un nouveau cycle esthétique, la question est de savoir combien de temps il durera. Mais si les photos dumps permettent de diminuer un peu l’anxiété et les complexes suscités par le réseau, c'est déjà une bonne raison de suivre le mouvement.

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.

Lire aussi :