En 2020, les Français, coincés à domicile, ont beaucoup moins pris leur voiture. Ce n'était pas une bonne affaire pour la radio, qui a vu chuter ses audiences, mais une circonstance qui contribue à expliquer que la part du numérique ait augmenté dans le volume total d’écoute de la radio : 17,4 % aujourd’hui contre 15 % l’an dernier, selon l’étude Global Audio de Médiamétrie pour la période de janvier à mars 2021. Les auditeurs en numérique sont 400 000 de plus qu’il y a un an, sur un total de 8,3 millions de personnes. « Cette écoute s'effectue surtout sur les smartphones, loin devant les autres supports, et l’on note aussi un progrès des enceintes connectées », complète Emmanuelle Le Goff, directrice du département Radio de Médiamétrie.
Top 30 des podcasts les plus écoutés : 29 podcasts issus de la radio
Autre constat : dans le top 30 des podcasts les plus écoutés en mai 2021, un seul n’est pas issu de la radio : C dans l’air, l'émission de France Télévisions. Même si les studios de podcasts se multiplient, la radio est loin, bien loin d’avoir dit son dernier mot. « Le covid a fait qu’on a accordé une plus forte part au temps long et qu’on a eu besoin de se recentrer sur soi et sur l’intime : l’audio et le format podcast s’y prêtent », remarque Eva Respaut, directrice des activités audio digitales au sein du groupe M6 (RTL, Fun radio...).
Au-delà de l’évolution des usages, l’offre aussi se peaufine sur ce « nouveau » support. Le lancement en avril de Radioplayer, application commune aux principales radios (sauf Skyrock), en est peut-être le meilleur symbole, ou du moins le plus récent. Le projet, d’une rare ampleur, visait moins à démultiplier les audiences qu’à permettre aux radios de parler d’une seule voix aux constructeurs automobiles, avec l’enjeu d’être présent demain dans les voitures connectées. Le but : ne pas laisser les agrégateurs être les interlocuteurs afin de garder la maîtrise des contenus.
Même s’il est beaucoup trop tôt pour établir un premier bilan, ses débuts sont jugés satisfaisants. « Des accords ont été trouvés avec des constructeurs, pas encore parmi les Français pour le moment », précise Jean-Éric Valli, son président. L’application, qui regroupe 220 radios, 600 webradios et 120 000 podcasts, a été téléchargée 120 000 fois depuis son lancement.
L'élan DAB+
Parmi les autres projets de longue haleine relatifs à la radio et au numérique, le DAB+ [troisième canal de diffusion à côté de la FM et d’internet], déployé en France depuis 2014. Celui-ci pourrait prendre un nouvel élan en octobre 2021 en étant disponible sur l’axe routier Paris-Lyon-Marseille. Reste que les Français sont encore loin d’être tous équipés avec des récepteurs radio adéquats et que le renouvellement du parc de voitures avec des récepteurs intégrés sera très progressif et prendra des années. Mais c’est là, sur la route, que devrait s’exprimer l’un des principaux avantages du DAB+, à savoir le fait de pouvoir écouter une station sans interruption de fréquence ni brouillage, d'un bout à l'autre de l'Hexagone. « Le DAB+ représente un enjeu stratégique : sur internet, vous passez par des tiers [les FAI] alors qu'en broadcast, la relation est directe entre la radio et l’auditeur. Le deuxième intérêt est la qualité sonore, le troisième, une bonne couverture », défend Jean-Éric Valli, également président des Indés Radios, qui émettent déjà en DAB+ et qui sont pionnières sur le sujet.
« Nous démarrerons Europe 1, Virgin Radio et RFM en DAB+ à Paris, Lyon, Marseille en octobre ainsi que dans le corridor autoroutier », explique de son côté Charles-Emmanuel Bon, directeur des opérations et des systèmes d'information chez Lagardère News. Pour préparer ce lancement, les partenaires techniques sont en train d’installer les émetteurs tandis que Lagardère réalise des investissements pour sécuriser l’alimentation du réseau. « Il y aura aussi des investissements en termes de communication, plus proches de la date de lancement. Le message sera surtout d’expliquer cette notion de continuité », poursuit le spécialiste, qui, compte tenu de la charge que cela représente sans véritable promesse d’audiences ou de business additionnels, attend de mesurer l’adhésion des auditeurs à ce nouveau canal.
Optimisation permanente des applis et podcasts
Sans se projeter jusque-là, les principales radios sont dans une démarche d’optimisation permanente de leur stratégie digitale, par exemple sur les applications et les podcasts. Au fil du temps, Radio France a amélioré la mise à disposition des siens sur le digital, via un menu actualisé, des entrées spécifiques, des bouquets thématiques. « Nous travaillons sur un moteur de recommandation basé sur un livre blanc réalisé en interne, relatif à la définition d'un algorithme de service public, ajoute Laurent Frisch, directeur du numérique et de la production du groupe. Nous avons souhaité définir des paramètres pour ne pas tomber dans la performance ou la surprise à tout prix. L’algorithme est déjà sorti, le paramétrage est en cours. »
Le deuxième grand chantier de Radio France consiste à renforcer les liens entre le direct et le podcast. « Il s’agit de ne plus uniquement penser le programme par le canal mais par le fait qu’il correspond à ce qu’on a envie de raconter. L’approche est que le numérique centre sur l’intention éditoriale plus que sur le canal de diffusion », précise Laurent Frisch. Le fait de pouvoir marquer un direct pour le réécouter plus tard ou encore de réécouter le début d’un direct s’inscrit dans cette logique.
De nouvelles communautés
Côté RTL, la stratégie est à la fois de renforcer les marques existantes et de créer de nouvelles communautés. Sur le premier volet, la première radio privée de France mise sur la conception de bonus pour ses podcasts. Par exemple, depuis mai, le podcast de l’émission de Julien Courbet, Ça peut vous arriver, est assorti d’un contenu baptisé La règle d’or, dans lequel, sur le même principe que dans l’émission, un avocat donne un conseil pour échapper aux arnaques.
Pour créer de nouvelles communautés, la station met en avant son podcast natif Ah ouais ?, lancé en avril et présenté par Florian Gazan, autour de la culture générale. L’enjeu porte aussi sur la distribution : « des discussions sont en cours avec les plateformes pour encadrer l’utilisation de nos contenus en termes de qualité de son, de présentation, de diffusion, de data, indique Eva Respaut. La relation éditeur/auditeur est en jeu. Lorsque l’on se fait désintermédier, on ne peut pas la porter de la même manière. »
Podcast freemium
Chez Lagardère, la frontière évolue également entre les podcasts et l’antenne. Troisième podcast le plus écouté en mai selon Médiamétrie, derrière Les Grosses Têtes et L’After Foot, Hondelatte raconte, diffusé sur Europe 1, « est pensé avant tout comme un podcast, rappelle Olivier Lendresse, directeur du numérique chez Lagardère News. Christophe Hondelatte l’écrit pour que cela fonctionne ainsi et, ensuite, il ajoute les lancements liés à la publicité ou à l’accueil des auditeurs ». Son modèle vient d’évoluer puisqu’il est proposé depuis juin en freemium, avec la possibilité d’accéder, moyennant un abonnement sur Apple Podcasts, au récit du lendemain, aux archives ou encore à des bonus. Par ailleurs, la logique de diffusion traditionnelle est inversée : le podcast est disponible en ligne le matin de sa diffusion à l'antenne l’après-midi. « Une chronologie où le numérique est central », souligne Olivier Lendresse.
Et l’expert de détailler les chantiers prioritaires pour le groupe. Au plan de l’édito, d’abord : la rédaction d’Europe 1 - qui s'est mise en grève en juin - est en train de devenir bi-média. Au plan de la distribution, ensuite : après celle de RFM en février et avant celle d’Europe 1 prévue à la rentrée, la nouvelle application de Virgin Radio devait voir le jour durant la dernière quinzaine de juin, dotée d’une fonctionnalité qui facilitera son écoute partout, y compris en voiture. Au plan de l’innovation, enfin : Europe 1 devait fin juin proposer sur Alexa des playlists de journaux et chroniques. Autant de chantiers à suivre.