Tribune
Les périodes de crise sont passionnantes car elles ont des effets grossissants sur les phénomènes sociologiques. Comprendre la place de la télévision dans notre société, les enjeux de pratique, nous permet d’avoir une meilleure vision du marché.

Chaque jour, nous recevons des chiffres sur l’explosion de la consommation média. Certains découvrent que la télévision occupait jusque-là 3h34 dans la vie des gens chaque jour, et que la durée d’écoute a gagné 1h10 (à 4h44) lors de cette troisième semaine de confinement. Quels comportements révèlent ces chiffres ? Peut-on en tirer des conclusions pour demain quand nous aurons retrouvé nos vies normales ?

Grâce au confinement, nous redécouvrons toutes les fonctions sociologiques de la télévision. La TV est d’abord le compagnon du foyer. Beaucoup de gens, comme les personnes âgées, l’allument pour ne pas être seuls. Le bouton de TF1 est pour beaucoup celui de la TV. On redécouvre avec la crise cette fonction d’accompagnement. Nos compagnons préférés sont les personnages de série, les héros des grands films familiaux. La Grande Vadrouille fait encore des cartons d’audience.

La fonction «doudou» de la télévision est exacerbée aujourd’hui mais, elle a toujours existée. Certains téléspectateurs peuvent avoir vu plus de quatre fois chacun des épisodes de Friends. La TV peut aussi avoir une fonction cathartique à travers le développement des séries dystopiques ou des shows de survie, sans parler du film le plus regardé en ce moment : Contagion. La télévision nous permet de vivre des situations de crise émotionnelle par procuration. Cela rend notre vie supportable dans un monde où le futur est incertain.

Lieu de sociabilité et coach de vie

La TV est le premier lieu de sociabilité. De nombreux sociologues ont déclaré que la TV était morte, car elle n’avait plus cette fonction de réunir ensemble le corps social autour d’un contenu : le fameux prime time.  En fait, même si les audiences moyennes des primes ont diminué de moitié au cours de ces dix dernières années, la télévision en France conserve cette fonction sociale à travers tous les programmes de cuisine, de chant, en partie parce que les Français continuent à dîner en famille. Netflix a bien compris cet enjeu en créant la fonction «Netflix party», qui fait un tabac auprès des ados aux Etats Unis. Notre leader national TF1 a intégré dans son positionnement, terriblement actuel, cette volonté de vivre une expérience collective, en témoigne sa signature «Partageons des ondes positives».

La télévision est aussi un coach de vie. Elle rend plus fort (empowerment) car elle développe la compréhension du monde des téléspectateurs et elle les aide dans les activités du quotidien. Ce sont les journaux qui les aident à comprendre le monde. Ce sont eux les grands gagnants, en termes d’audience, avec des augmentations à la fois sur le 13 heures et le 20 heures. L’accompagnement dans le quotidien des gens, c’est la fonction des émissions pratiques. M6 est la chaîne coach, avec une offre variée, de Top Chef à Fresh Yoga en passant par les thèmes du bricolage, de la cuisine, et du bien être.

Notre vision est que la télévision, c’est deux médias au fonctionnement différent : un média de flux, avec les usages historiques que l’on vient de voir, et un média à la demande : je veux mon programme à une heure précise. Avec l’arrivée des services OTT, comme Netflix, tout le monde a annoncé à la fin de la télé de flux alors que les fonctions d’accompagnement reste important. La télévision reste majoritairement un média de flux. La problématique pour les prévisionnistes est d’imaginer le poids entre TV de flux et TV on demand.

Et demain ?

Au-delà du constat macro qui montre que le mode de distribution mondiale sous forme de plateforme offre un tel levier économique qu’il est difficile de tenir une position locale, quel est notre projet pour le média télévision ? Les expérimentations forcées par le confinement nous permettent de rêver un peu… Imaginons une télévision qui plaise aux jeunes. ENtre mars 2019 et mars 2020, l’audience cumulée jour est passé de 36% à 57%. Pourquoi l’audience jeune était-elle si basse ? Avec l’arrivée du digital, la cible jeune est devenue moins «bankable» et les chaînes ont cessé d’investir dans de grandes productions dédiées aux jeunes. Avec une politique de programme ambitieuse, une partie des jeunes peut revenir à la TV.

Imaginons une télévision qui véhicule les valeurs de notre société… La télévision est un outil politique terriblement performant. Elle peut nous aider à créer du collectif bien plus efficacement qu’une semaine de service militaire ! La diversité doit être une priorité. Canal+ y œuvre par exemple en mettant souvent en scène des héros de la banlieue.

Imaginons aussi une télévision qui développe des fonctions pédagogiques. Les initiatives se multiplient dans cette période atypique, avec la rediffusion des pièces de la Comédie française, des programmes pédagogiques l’après-midi... Pourquoi ne pas les faire perdurer quand le confinement sera terminé ? Enfin, imaginons le futur de la télévision comme l’a fait France Télévisions avec son sondage «Ma télévision de demain, la grande consultation citoyenne» et profitons de cette gigantesque période de remise à plat pour tester, éprouver nos intuitions et nos projets. Il faut apprendre de la crise pour repenser le futur de la télévision.

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