Dossier Relations publics
Annoncée comme l’événement médiatique de ce début d’année, la conférence de presse donnée par Carlos Ghosn le 8 janvier dernier a-t-elle rempli son contrat ? Pas vraiment à en croire les professionnels, tant sur la forme que sur le fond. Décryptage.

Le 8 janvier 2020, une semaine après avoir quitté le Japon, où il était assigné à résidence en attendant la tenue de son procès, Carlos Ghosn recevait les médias du monde entier à Beyrouth pour sa première prise de parole en public depuis le début de ses démêlés avec la justice nippone. L’occasion pour l’ex-patron de Renault Nissan de « faire éclater la vérité » pour reprendre les mots de son épouse. Pour ce faire, Anne Méaux, patronne d'Image 7 et organisatrice de l’événement - qui n’a pas souhaité répondre à nos questions - avait fait le choix d’une conférence de presse dans les locaux du Syndicat de la presse : un lieu symbolique pour un format qui traduit généralement une volonté de transparence, un exercice de parole libre. Le jour J à 14 heures, quelque 150 journalistes du monde entier avaient fait le déplacement pour ne rien manquer de ces révélations. Mais au terme des deux heures d’exposé – une heure de conférence et une autre de questions/réponses -, ils sont repartis bredouilles !

Exercice raté

Pour Jean-Christophe Alquier, président d’Alquier Communication, l’exercice est raté à plusieurs égards : « Sur le fond, il a voulu dire trop de choses sans les hiérarchiser - des droits de l’homme au Japon aux réussites et aux échecs de Renault Nissan… Il n’a fait que répéter ce que tout le monde savait déjà. » Sur la forme ? « Quand on fait ce choix [d’une conférence de presse], il faut aller jusqu’au bout, poursuit Jean-Christophe Alquier. On ne choisit pas 150 journalistes d’un côté pour en refuser 20 de l’autre ! Et on ne complète pas avec une ribambelle d’interviews en one to one alors que tout a déjà été dit dans la conférence puis relayé sur internet et par les chaînes d’information en continu. C’est une communication de l’ancien monde ! » Arnaud Dupui-Castérès, CEO de Vae Solis Communications, confirme et ajoute : « Mieux qu’une conférence de presse, il aurait dû accorder une grande interview écrite et une autre en télé pour chaque région clé - Japon, États-Unis, Royaume-Uni et France - pour faire passer ses messages. »

Animal médiatique rompu à l’art oratoire et à l’exercice de la conférence de presse, Carlos Ghosn a cependant su se montrer crédible dès les premières minutes de sa prise de parole, rappelant son soulagement d’avoir retrouvé les siens. « Durant les vingt premières minutes, où il lit son texte, il est en contrôle, observe Jean-Christophe Alquier. Mais plus la conférence avance, moins l’exercice de communication est tenu : il commence en humilité et humanité, il finit en revanche exclusive d’homme de pouvoir qui en veut au système dont il a fait largement partie. »

Plaidoyer pro domo

Sur le reste, Carlos Ghosn n’a pas davantage convaincu, consacrant l’essentiel de son temps de parole à dénoncer le système judiciaire japonais ou à reporter la responsabilité sur d’autres : le management de Nissan, le conseil d’administration et le management de Renault, le gouvernement français… « En subliminal, il a menacé au moins une centaine de personnes, reprend Jean-Christophe Alquier. Il a envoyé ses messages en connaissance de cause en se gardant bien, à chaque mise en cause, d’aller jusqu’au bout de sa démonstration. » Une défense à la Jérôme Kerviel contre la Société Générale, où l’homme déclare payer pour tout un système qui a pourtant validé ses agissements. À ceci près que le contexte n’est pas le même. Carlos Ghosn s’est cru dans un procès dont les jurés étaient les médias : « Cette conférence est devenue un plaidoyer pro domo du grand patron, qui demande à être absout pour tout ce qu’il a fait pour Renault et Nissan », analyse Jean-Christophe Alquier.

En investissant les locaux du Syndicat de la presse à Beyrouth tout en refusant d’y recevoir tous les médias, en promettant la révélation de preuves tout en ne délivrant finalement rien de plus que ce que les médias savaient déjà, Carlos Ghosn a multiplié les injonctions paradoxales, créant plus de confusion que de clarification. « Plusieurs médias, dont Les Échos, n’ont pas été admis à la conférence parce qu’ils n’ont pas été assez laudateurs, ce qui donne un vrai sentiment de manipulation des médias. L’opinion comme la justice détestent ça, rappelle Arnaud Dupui-Castérès. Les attentes étaient pourtant fortes de la part des médias, mais l’opération n’a rien apporté de plus à Carlos Ghosn. Le seul message qu’il a fait passer, c’est qu’il n’a pas les moyens de se défendre face à Nissan et la justice japonaise ! » Et le patron de Vae Solis Communications de conclure en interrogeant : « A-t-on entendu ou vu quelque chose de bien ou de mieux sur Carlos Ghosn depuis cette conférence de presse ? Cet événement semble avoir été davantage organisé pour redorer l’image de deux gros ego : Carlos Ghosn et Anne Méaux ! » Deux mois après l’événement, force est de constater que rien n’a changé sur le fond comme sur la forme. L’image de Carlos Ghosn reste celle d’un ancien grand patron ayant fui la justice d’un pays et pour qui les ennuis judiciaires ne font que commencer !

Une impréparation flagrante

Bon nombre d’observateurs ont pointé le caractère cheap de la conférence de presse : une salle austère et mal équipée, dans laquelle ni les caméras, ni les journalistes assis vers le fond ne pouvaient lire les slides présentées à l’écran… S’agissait-il d’une volonté délibérée pour souligner une certaine simplicité et accessibilité ? « La simplicité du cadre est davantage à mettre sur le compte de la précipitation. Celle qui est à la manœuvre n’est pas du pays, rappelle Arnaud Dupui-Castérès. Compte tenu du contexte, le speaker avait d’autres préoccupations que celle de travailler la scénographie. » Jean-Christophe Alquier confirme : « J’y vois une forme d’empressement lié au fait que Carlos Ghosn est très sûr de lui. Il a probablement mis la pression à Anne Méaux pour voir vite les journalistes. Mais dans un contexte où la charge émotionnelle est énorme, il faut être capable de dire non à un client qui vous dit “je peux le faire”. La conférence pouvait attendre une semaine de plus. »

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