« Les trois derniers journaux d’entreprise que j’ai vendus sont sur papier. L’un d’eux est un journal interne expédié au domicile des salariés, je l’ai vendu sans aucune difficulté. Le responsable des RH m’a dit : “c’est tout à fait ça qu’il me faut”. Les deux autres sont des revues destinées à la clientèle. J’ai proposé les deux options, numérique ou papier. Les commerciaux ont préféré la version papier, cela permet de créer de la relation, de laisser un journal, d’apporter quelque chose. En l’envoyant par mail sur un fichier client, ce n'est pas sûr qu’il soit lu. » Ce constat de Frédérique Pusey, présidente du Syndicat national des attachés de presse (Synap), qui dirige l’agence FP&A, illustre le tournant pris ces derniers mois, « une petite année », selon elle. Le papier fait son retour dans l’attirail de communication des entreprises.
À Lyon, Thomas Nardone fait le même constat. Son agence, Ultramédia, crée des contenus pour des collectivités ou des grands comptes comme la Société Générale, Allianz, Pfizer ou Euromaster. Pour lui, s’il est trop tôt pour parler de « retour du papier », on constate à tout le moins sa bonne « résistance ». « Depuis que nous nous sommes lancés il y a sept ans, nous constatons un vrai basculement vers le digital, mais pas forcément pour de bonnes raisons. Parfois, la raison principale est purement budgétaire. Avec l’impression et surtout la distribution, le papier coûte cher, ce qui peut inciter les donneurs d’ordre à passer au tout numérique. Mais avant de penser digital ou print, il faut se poser la question de sa cible et de ses usages. Ce sont eux qui doivent guider la réflexion stratégique », remarque-t-il.
Guerre de l'attention
La région Grand Est, qui a lancé son trimestriel au printemps dernier, a ainsi fait le choix d’une version papier adressée à 2,5 millions d’exemplaires dans les boîtes aux lettres des habitants. « Il y a aujourd’hui une guerre de l’attention, nous sommes tous submergés d’informations du matin au soir. Là, tout le monde va prendre en mains le magazine, au minimum voir la couverture et la dernière page, d’où l’importance du travail à faire en la matière. Avec le digital, c’est beaucoup plus compliqué d’aller chercher les personnes », note Thomas Nardone, qui a soutenu le parti-pris du président de cette région de créer ainsi un lien direct avec les administrés.
À La Poste, on multiplie les études pour prouver que le papier reste le meilleur moyen de toucher la cible que l’on recherche. La dernière a été menée avec l’institut Kantar et ses résultats ont ravi Adèle Albano, directrice générale de Mediapost. « Nous avons analysé l’impact de l’imprimé publicitaire dans la consommation et le chiffre d’affaires généré en étudiant dix campagnes menées par la grande distribution. Nous avons ainsi démontré qu’un catalogue crée en moyenne 9 % de trafic supplémentaire et 13 % de chiffre d’affaires additionnel, ce qui est considérable », avance-t-elle. « Qu’il soit adressé ou non, le média courrier reste très significatif en poids et en puissance », affirme Arnaud Tomasi, directeur de la business unit médias de La Poste. Il met notamment en avant son « audience inégalée », avec 99 % des Français qui ont une boîte aux lettres et 82 % qui la relèvent tous les jours, et des scores flatteurs de mémorisation pour le courrier adressé (60 %) et l’imprimé publicitaire (27 %), loin devant la télévision (17 %) et la bannière display (5 %), selon les chiffres de La Poste. Une conséquence, pour lui, de « l’attention » portée à la lecture et de « l’émotion positive » procurée à la réception d’un courrier.
« Sobriété numérique »
L’association Culture Papier, de son côté, promeut les valeurs du papier pour le compte de la filière. Olivier Le Guay, son délégué général, constate une prise de conscience à l’égard du tout-numérique. « Il y a trois ans, quand nous prônions un rééquilibrage entre le papier et le digital, nous prêchions dans le désert. On tapait sur le papier au prétexte qu’il détruisait des arbres, alors que le sujet de la déforestation est davantage lié aux cultures. On commence à comprendre que l’obésité numérique, en termes de consommation d’énergie et de métaux rares, a des impacts négatifs sur l’environnement », souligne-t-il. Son association en appelle aujourd’hui à la « sobriété numérique » et plaide pour « associer le meilleur des deux mondes, print et digital », en invitant la profession à réfléchir à ces questions lors d’un colloque organisé le 16 décembre prochain au Sénat, qui aura pour thème « Le papier au futur ».
Les professionnels du papier, eux, remarquent que le vent est en train de tourner. Certes, les chiffres, pour l’instant, sont peu favorables. « La consommation de papier chute chaque année partout dans le monde, avec des baisses de -6 % à -8 % par an. Mais on sent aussi une volonté de sortir du tout numérique envahissant, avec la prise de conscience de toute la partie non environnementale du digital et le fait que le papier, qui peut se recycler jusqu’à sept fois, voit sa cote remonter dans ce domaine », remarque Stéphane Courtot, président d’Antalis France. Aujourd’hui, ce leader de la distribution professionnelle de papier multiplie les initiatives pour animer le marché, avec un show-room dans le XIIIe arrondissement de Paris ou encore un concours qui invite les créatifs à présenter leurs meilleures réalisations sur papiers créatifs ou papiers recyclés, cartes de vœux, mailings ou des brochures.
Solutions logicielles
Les fournisseurs de solutions d’impression font feu de tout bois pour doper le marché. Chez Oki, dont les imprimantes LED proposent l’impression avec une cinquième couleur (le blanc), Carol Dufour, responsable du marketing, insiste sur les « solutions créatives qui s’offrent aujourd’hui, comme la possibilité de réaliser des maquettes quasi identiques au produit fini », ce qui permet de s’affranchir des délais de sous-traitance. « Le papier devient de plus en plus intelligent, on y rajoute des couches d’information. Sur certains documents que nous imprimons, vous allez pouvoir les lire sous forme d’hologramme, ou alors avec un éclairage restreint, avec un message qui apparaît uniquement dans le noir », note de son côté Elie Choukroun, CEO de Ricoh France, qui propose des solutions logicielles permettant par exemple de « faire le lien entre le monde digital et le papier » en délivrant des informations lorsque l’on clique sur une photo. Les innovations technologiques, à l’instar du papier connecté avec lequel le papetier Oxford construit son succès (lire encadré), vont-elles voler au secours du support physique ? « Nous avons la conviction que le papier en tant que tel peut porter un effet de surprise, et sa créativité est sans limites », estime Arnaud Tomasi chez La Poste. L’un de ses clients s’apprête d'ailleurs à envoyer un courrier contenant du papier à planter permettant ensuite au destinataire de faire pousser des fleurs sur son balcon.
Oxford, du stylo numérique à la reconnaissance d’écriture
Un super accueil de la presse… mais un gros flop commercial. Quand Oxford se lance en 2001 dans le cahier numérique, la marque décroche une pleine page dans Le Monde. Associée à un stylo numérique, l’innovation permet d’embarquer ses notes puis de les transférer par Bluetooth ou clé USB sur son PC. Mais les ventes de ce produit, trop onéreux et trop complexe à utiliser, ne décolleront jamais. L’arrivée du smartphone va sauver Oxford. « Il nous a permis de mettre le papier connecté à la portée de tous », raconte Christophe Girard, brand director de la marque du groupe Hamelin. Cette fois, le produit lancé en 2017 est gratuit et facile d’usage. L’application Scribzee permet de capturer avec la caméra de son téléphone des notes prises sur la page d’un cahier et de les transformer en un fichier PDF, stocké dans le cloud. Aujourd’hui, Scribzee commence même à reconnaître l’écriture. L’application a été téléchargée plus de 1,2 million de fois Oxford, marque franco-française il y a encore une quinzaine d’années, devient une référence en Europe…