Télévision
Après des années d’importation massive et de copie, la Chine multiplie les créations d’émissions télé, qu’elle souhaite aujourd’hui exporter.

[Cet article est issu du n°1949 de Sratégies, daté du 3 mai 2018]

 

Sur scène, deux scientifiques s’affrontent, inventions contre inventions, avec un objectif : révolutionner le futur. Face à eux, un public de 500 personnes, équipées de bracelets connectés, qui enregistrent leurs pulsations cardiaques afin d’identifier les inventions qui susciteront la plus grande émotion. Bienvenue dans My Future, l’une des émissions dont la Chine cherchait à exporter le format lors du dernier MIPTV, qui s’est tenu à Cannes mi-avril. Coproduit par Hunan Satellite TV et Vivid Media, ce programme, dont la première saison a été diffusée sur Hunan TV en septembre 2017, a enregistré une audience moyenne de 80 millions de téléspectateurs, un chiffre correct pour la Chine, et qui a suscité de nombreux échos sur les réseaux sociaux.

De 20 formats achetés à 8 

« Jusque-là, les Chinois venaient au MIPTV pour acheter des formats. C’est la première fois qu’on les voit essayer de vendre », relève Frédéric Vaulpré, directeur d’Eurodata TV, la branche internationale de Médiamétrie. Pour l’occasion, 294 professionnels de l’empire du Milieu avaient fait le déplacement à Cannes, 22 % de plus qu’en 2017, pour une trentaine de stands. Selon le cabinet suisse The Wit, la Chine achetait jusqu’en 2016 vingt nouveaux formats par an, que les producteurs chinois adaptaient ensuite à la sauce du pays, un chiffre tombé à huit en 2017. Entre-temps, le gouvernement chinois a interdit aux chaînes de diffuser plus d’un format étranger par an en journée, deux en prime-time. Conséquence, les programmes originaux made in China ont explosé, les productions sont montées en gamme, et les sociétés de production comme les diffuseurs sont pressés d’exporter, non pas leurs émissions telles que diffusées en Chine, mais leurs formats, c’est-à-dire le concept même d’un programme, plus facile à vendre à l’étranger.

C’est dans ce contexte que la Chine a fait le show au MIP Formats, avec une conférence baptisée « Wisdom in China » (Sagesse en Chine), durant laquelle neuf programmes ont été présentés. Parmi eux, The Nation’s Greatest Treasures (Les plus grands trésors de la nation), une super-production de CDIMC Production, mettant en compétition 27 joyaux de la culture chinoise, issus des plus grands musées du pays, à mi-chemin entre le documentaire et l’émission de variétés, le tout associant des personnalités chinoises. « C’est une spécificité chinoise : de nombreux programmes associent des célébrités pour attirer l’audience. Mais les choses pourraient changer car cela représente un coût élevé et le gouvernement chinois souhaite que nous mettions davantage en avant les gens ordinaires et moins des personnalités », tempère Shirley Shihui Cheng, vice-présidente de 3C Media, chargée de la stratégie de contenu et du développement.

Autre programme présenté lors de Wisdom in China, Super Star Singer, produit et diffusé par BTV, dans lequel des stars du cinéma et des sportifs sont invités à tester leurs talents de chanteurs, une sorte de Danse avec les stars de la chanson. Ou encore Readers (CCTV Creative Media), une émission au cours de laquelle des personnalités comme la star du kung-fu Jackie Chan, née à Hong Kong, se racontent et lisent des extraits de leurs livres préférés sur scène. « Pour la plupart des programmes, le marché chinois reste la priorité car c’est un marché vraiment très grand », souligne Jianing Shen, adjointe au président de CITVC, la branche distribution de CCTV. Le programme The Nation’s greatest treasures a par exemple rassemblé 50 millions de téléspectateurs sur CCTV-3, auxquels se sont ajoutés 700 millions de vues sur le digital. Rien d’étonnant dans un pays de plus d’1,3 milliard d’habitants, qui compte plus de 1 700 chaînes de télévision, dont 31 chaînes nationales, pour un fuseau horaire officiel unique, qui permet une audience maximale.

Soft power chinois

« La Chine a longtemps pris l’inspiration à l’étranger, d’où un sentiment de déjà vu sur un certain nombre de programmes, estime Bo Zhang, international senior business manager chez Eurodata TV, chargée de l’Asie. Mais les choses sont en train de changer. » Le jeu AI Mission, produit par CCTV et Beijing Changjiang Culture, diffusé l’été dernier sur CCTV-1, propose par exemple aux candidats de défier une intelligence artificielle, un traitement original de l’IA, d’ordinaire cantonnée aux documentaires. « Les Chinois sont très présents dans les émissions d’entertainment. Cela s’explique par le fait qu’il n’y a pas d’émission politique, satirique ou même d’enquête en Chine », observe Sandrine Roustain, responsable du développement international de Shanghai Media Group.

« Les émissions que la Chine cherche à exporter sont imprégnées de culture chinoise », note Bertrand Villegas, cofondateur de The Wit, selon qui la volonté gouvernementale de développer les exportations, relève du soft power. « Même les Japonais et les Coréens ont du mal à exporter leurs programmes, car les cultures sont très différentes. En vingt ans, le Japon n’a vraiment réussi à vendre que Ninja Warrior et Dragon’s Dance », ajoute-t-il.

La Chine et la propriété intellectuelle

Autre frein à l’exportation, la mauvaise réputation de la Chine en matière de propriété intellectuelle. Rares sont les grands formats internationaux à ne pas avoir été copiées par la Chine. Au MIPTV, le producteur coréen Jin Woo Hwang a ainsi montré comment son émission Produce 101 a été contrefaite « à 88 % » par la plateforme chinoise iQiyi, alors même que les droits avaient été acquis par le géant Tencent. Au cours d’une autre conférence, à la question de savoir si les exportations de formats chinois déferleront sur le monde, Mike Beale, directeur général de la société de production britannique ITV Studios, répond : « la Chine doit respecter la propriété intellectuelle, et pour le moment, ce n’est pas le cas ».

« Nous travaillons beaucoup sur le sujet, assure Vincent Sun, directeur adjoint du département programmation de Shanghai Media Group. L’industrie des formats audiovisuels n’est pas si vieille que ça en Chine. Nous voulons respecter les mêmes règles que les autres pour pouvoir jouer sur le marché international. » En matière d’audiovisuel, l’avènement de la Chine sur la scène internationale n’en est qu’à ses prémices.

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