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Le groupe public démarre la saison sans savoir quel sera son financement dans les prochaines années. La cacophonie gouvernementale ne l'aide pas y voir clair.

«On a, je viens de vous le dire, des problèmes d'argent», concède Aurélie Filippetti dans une interview au numéro de septembre-octobre du magazine Polka. Le 24 août, sur France Inter, la ministre de la culture et de la communication a fermement défendu son rôle et tancé son collègue du budget Jérôme Cahuzac, qui fait preuve selon elle «d'imaginativité, enfin d'imagination» en soutenant l'idée d'un retour de la publicité après 20 heures sur France Télévisions.

 

Il n'empêche, elle est condamnée à sortir sa calculette. Même en prenant en compte un alignement de la redevance sur l'inflation, une extension de son assiette aux résidences secondaires et aux écrans d'ordinateurs, elle aura le plus grand mal à compenser le manque à gagner de 450 millions d'euros induit par la suppression de la publicité sur les chaînes publiques voulue par Nicolas Sarkozy. Démonstration.

 

Comme le rappelle un récent rapport sénatorial de David Assouline et Jacques Legendre, la loi sur l'audiovisuel public du 5 mars 2009 a introduit deux taxes qui n'ont pas tenu leurs promesses. La première, sur le chiffre d'affaires publicitaire des chaînes de télévision analogiques (0,5%) et numériques (0,25%), n'a rapporté que 18 millions d'euros en 2011 au lieu des 94 millions anticipés au titre de «l'effet d'aubaine» en faveur des diffuseurs privés (la loi prévoyait au départ un prélèvement de 3% sur leurs ressources publicitaires).

 

La seconde, sur les opérateurs télécoms (0,9% du CA) n'a rapporté que 251 millions d'euros alors que la majorité d'alors tablait sur 380 millions. L'Etat est donc contraint de puiser dans le Trésor public 180 millions par an pour tenir ses engagements de compenser à l'euro près la disparition de la publicité en soirée.

 

Une exigence qui risque encore de s'accroître en raison du retard budgétaire de 30 millions qu'enregistre à la fin août France Télévisions Publicité, dont Daniel Saada vient de prendre les rênes (lire l'encadré). Le PDG du groupe public Rémy Pflimlin a confirmé ce chiffre le 28 août en soulignant: «La conjoncture économique pèse sur le marché publicitaire.»

 

Si, début 2013, l'Etat se voit condamné par la Cour de justice européenne pour sa taxe sur les télécoms, ce qui est jugé hautement probable, c'est près d'1 milliard d'euros qu'il lui faudra en outre rembourser. Tout en tirant un trait sur le principal socle de financement du groupe audiovisuel public.

 

Tous ces éléments pèsent-ils pour un rétablissement inéluctable de la publicité? Ce retour «n'est pas d'actualité», a indiqué le Premier ministre Jean-Marc Ayrault. Aurélie Filippetti avait clairement dévoilé ses vues à Stratégies avant la présidentielle: «Nous souhaitons que l'on bloque cette réforme en maintenant la publicité avant 20 heures et que l'on sécurise les ressources de l'entreprise unique. Si nous n'envisageons pas d'augmenter la contribution publique à l'audiovisuel (ex-redevance), nous estimons qu'elle devrait suivre l'inflation. Nous réfléchissons également à un élargissement de son assiette. Les Allemands viennent de l'élargir à tous les écrans. On peut aussi penser aux résidences secondaires

 

Reste qu'avec 3,1 millions de résidences secondaires qui seraient assujetties à la moitié de la redevance (61,50 euros), ce n'est guère plus de 190 à 95 millions d'euros qui pourraient être récupérés, suivant que l'on considère que seront concernés l'intégralité ou seulement la moitié, par exemple, de ces résidences (celles qui sont équipées d'un récepteur TV). Quant aux écrans informatiques, Bercy estime que cela ne ferait pas entrer dans les caisses plus de «14 à 25 millions d'euros». Les smartphones et les tablettes? Outre que seulement 3 à 4% des Français n'ont pour seul terminal qu'un écran d'ordinateur portable, le risque est d'apparaître à l'initiative d'une mesure anti-jeunes.

 

Bref, même avec quelques euros grappillés sur le montant de la redevance du fait de son alignement sur l'inflation, difficile d'arriver à générer quelque 450 millions d'euros si Bruxelles invalide la taxe sur les télécoms. Même une réouverture de la publicité sur le seul créneau 20h-21 heures ne rapporterait guère plus de 100 millions d'euros à France Télévisions, selon Vivaki (Publicis) dans un contexte d'arrivée de six nouvelles chaînes TNT en fin d'année.

 

Alors? Rémy Pflimlin a balayé d'un revers de main un plan d'économies de «150 à 200 millions d'euros» évoqué par Le Figaro. «Des montants non fondés» à ce jour, a-t-il argué, puisque tout dépendra de la mission qui lui sera assigné dans le cadre d'un nouveau contrat d'objectifs et de moyens dont il s'apprête à discuter avec Aurélie Filippetti.

 

Après avoir engagé en début d'année des économies sur ses programmes de flux, le PDG parle aujourd'hui «d'amplification des mesures d'ajustement» ou de réaliser des «arbitrages qui peuvent être structurants.». L'idée de transformer les France 3 Régions en «télévision de plein exercice», avec le concours des collectivités locales, est évoquée.

 

La CGT de France Télévisions, qui craint un plan d'un millier de suppressions d'emplois, ne se dit «pas hostile à des partenariats avec des acteurs publics régionaux» et se déclare «favorable au rétablissement d'un écran publicitaire après 20 heures». Sur ce dernier point, seule la Société civile des auteurs multimédias a clairement dénoncé une «fausse bonne idée».

 

Attendue en 2013, la loi sur l'audiovisuel visera à rapprocher le CSA et l'Arcep, à l'heure où les programmes sont de plus en plus diffusés sur internet. Elle dira aussi quelle place elle entend réserver à la publicité qui, à tout le moins, sera maintenue en journée en 2016.

 

Quant à Rémy Pflimlin, nommé à la faveur d'une loi que François Hollande souhaite abolir, elle dira si son mandat qui court jusqu'en 2015 est compatible avec la nouvelle architecture de la télé publique. L'intéressé insiste beaucoup, lui, sur la «stabilité du management»...

 

Encadré

 

Daniel Saada à France Télévisions Publicité

 

Le départ de Philippe Santini, après quinze ans à la tête de France Télévisions Publicité, n'a pas été commenté par Rémy Pflimlin. En off, la question du lien de confiance entre les deux hommes est évoquée. La participation de Philippe Santini au scénario d'une privatisation entre les mains du duo Courbit-Publicis, en 2010, a pesé, puisqu'un chasseur de tête serait à l'œuvre pour son poste depuis le printemps 2011. Le retard budgétaire de 30 millions a-t-il précipité la décision? Daniel Saada, ancien président de Vivaki (Publicis), est en tout cas attendu pour créer davantage d'intégration de la régie au sein du groupe. Et sur tous les supports: «Il déclinera la publicité sous toutes ses formes», résume Rémy Pflimlin.

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