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Les journaux de l'ère Ben Ali peinent à imposer leur mue dans un pays qui fait l'expérience de la démocratie et où une grande défiance s'est installée vis-à-vis des médias.

Au classement de Reporters sans frontières (RSF), la Tunisie a gagné trente places depuis la révolution, passant de la 164e à la 134e. Pourtant, pour Belhassen Handous, membre du nouveau bureau de l'ONG à Tunis, «l'actualité a changé mais les méthodes de travail et l'analyse sont les mêmes qu'avant». Le changement de régime a engendré une perte totale de repères chez les journalistes tunisiens devant passer d'une information d'Etat sous contrôle à une liberté totale. Auparavant, une dizaine de rédacteurs pouvaient publier un journal, en reprenant les dépêches de la TAP (Agence de presse tunisienne) et les communiqués du gouvernement. Désormais, il faut produire des articles chaque jour.

Sous le régime de Ben Ali, c'est «une absence de journalisme», comme dit Olivia Gré, membre de RSF à Tunis, qui s'était peu à peu imposée dans l'opinion publique. Sans parler des emprisonnements et des cas de torture, le système médiatique se caractérisait par un enseignement défaillant, des salaires faibles des professionnels et des revenus publicitaires octroyés sous condition. «Le 14 janvier 2011, les journalistes se sont retrouvés livrés à eux-mêmes, voulant exploiter leur nouvelle liberté mais ne sachant comment», explique le politologue Larbi Chouika. «Ils travaillent désormais à l'aveuglette et leurs dirigeants, déchirés entre leur compromission passée et leur mission actuelle, ont peu de prise sur eux.»

Au règne de la censure, semble succéder celui de la rumeur: non-respect des règles de base (interroger les opinions contraires, distinguer l'enquête de l'éditorial), «culture téléphone» pour collecter les informations sans se déplacer, diffamation pour régler ses comptes... «On vit dans une zone de non-droit, personne n'a vraiment le pouvoir», regrette Néjib Ouerghi, directeur général de la Société nouvelle d'impression, de presse et d'édition.

Au Temps, quotidien du groupe privé Dar Assabah, l'indépendance revendiquée depuis la fondation du journal a préservé une certaine distance avec le pouvoir malgré deux ans passés entre les mains du gendre du président déchu. Le rédacteur en chef est resté en poste après la révolution, mais la moitié de la rédaction a été renouvelée. A l'inverse, détenu par l'Etat depuis 1967, La Presse était un quotidien progouvernemental. Saluée sur la forme, l'élection d'un nouveau rédacteur en chef issu des rangs du journal n'a pas résolu les problèmes de fond: les conférences de rédaction sont inexistantes, trente des cinquante journalistes sont peu présents et la hiérarchie n'a plus de prise sur le journal... Quotidien référent pour les ambassades et les hommes d'affaires, La Presse pourrait bien rater sa mue.

Avec la révolution, des dizaines de journaux sont apparus comme Al Mouharir ou Le Maghreb. L'enjeu majeur est d'arriver à instaurer un climat de confiance pour la profession. Actuellement, le gouvernement nahdhaoui soupçonne les médias de vouloir sa perte, quand ceux-ci l'accusent de vouloir retarder les élections. L'Instance nationale pour la réforme de l'information et de la communication (Inric), chargée de réformer les médias, est «critiquée par certains patrons de presse qui préféreraient travailler sans cadre réglementaire», explique Rida Kéfi, membre de cette instance. Le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) devrait bientôt dévoiler une liste noire des journalistes ayant collaboré à profit avec le système benaliste, et même les annonceurs remettent en cause les chiffres de diffusion fournis par les journaux. Dans ce contexte où les citoyens ne savent plus à qui prêter foi, certains gardent espoir: «Le pire est derrière nous, et la volonté des journalistes de ne pas revenir en arrière est forte», assure Rida Kéfi.

 

(ENCADRE)

Refonte de la formation journalistique

La réforme des médias tunisiens passe, en amont, par la refonte des programmes de l'Institut de presse et des sciences de l'information (Ipsi) et du Centre africain de perfectionnement des journalistes et communicateurs (CAPJC). D'ores et déjà, l'université publique de journalisme de Tunis et le centre étatique de formation continue ont vu un nouveau directeur s'installer, ainsi que le retour des cours d'investigation et de déontologie.

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