L'événement fera-t-il date? Rupert Murdoch a, en tout cas, assuré une publicité supplémentaire à l'Ipad en annonçant le lancement, fin 2010 ou début 2011, d'un quotidien qui sera disponible uniquement sur la tablette d'Apple. The Daily, c'est son nom, n'a rien à envier à ses confrères sur papier. Selon Forbes, le «tycoon» a vu les choses en grand: il aurait en effet prévu un budget de 30 millions de dollars et une équipe de 150 personnes, dont une centaine de journalistes. Dans la foulée, Richard Branson a lui aussi annoncé le lancement d'un «magazine multimédia révolutionnaire» conçu spécifiquement pour l'appareil d'Apple. En France, c'est Le Point qui a ouvert le bal le premier parmi les news magazines avec l'annonce, le 25 novembre, d'une version conçue pour l'Ipad: on y trouve l'intégralité du contenu du titre, enrichie d'extensions visuelles, pour 2,39 euros (contre 3,50 euros l'exemplaire en papier).
Sorti en avril aux États-Unis, l'Ipad s'est déjà écoulé à 8 millions d'exemplaires en six mois et, selon Ben Reitzes, analyste de Barclays, 6 autres millions pourraient trouver preneurs entre octobre et décembre. Même si son règne ne fait que commencer, il progresse à une vitesse fulgurante grâce à la propagation en parallèle du haut débit. Hans Vestberg, le président-directeur général d'Ericsson, se frotte déjà les mains: «En 2020, 4 milliards de personnes auront accès au haut débit et une majorité l'utilisera avec son mobile. La mobilité couplée au haut débit va déboucher sur des usages radicalement nouveaux.»
«Le génie est sorti de la bouteille…»
Pour les éditeurs de contenus, futur rime cependant avec défi, car la généralisation du mobile signe aussi l'extension de la «googlisation», donc de la circulation des informations… gratuites. Eric Hippeau, président-directeur général du site d'information Huffington Post, estime inévitable ce schéma: «Le génie est sorti de la bouteille. Désormais, la plupart des gens s'attendent à trouver l'information gratuitement. C'est avec l'audience, et donc la publicité, que les sites pourront se financer.» L'opinion inverse a aussi ses défenseurs qui, à l'instar de Cris Ahearn, directeur de Thomson Reuters, restent convaincus de la pertinence du modèle payant, y compris sur le mobile: «Le public paiera pour le contenu si les éditeurs innovent. Cela prendra du temps et il y aura des tâtonnements, mais c'est tout à fait possible.»
D'autres secteurs ont d'ailleurs réussi à faire du mobile une vraie martingale, comme le rappelle David Lenny, président d'Akamai Technologies: «Nous gagnons de l'argent, en particulier avec les applications qui ont trait à l'amélioration de la logistique ou la santé. Les applis qui offrent le meilleur contenu réussissent à faire de l'argent.»
La nature de l'appareil utilisé entre aussi en ligne de compte et, de tous les mobiles déjà en circulation, les tablettes suscitent le plus d'espoirs car elles semblent en effet pousser davantage à la dépense. «Avec l'Iphone, la dépense moyenne par application est de 1,27 dollar. Avec l'Ipad, elle monte à 5,71 dollars», confirme Ilja Laurs. Le fondateur et président-directeur général de Get Jar a de quoi s'en féliciter: son site spécialisé dans la création de jeux écoule désormais quelque 100 millions d'applications chaque mois.
Du système à la «déconstruction»
La nature de l'appareil joue aussi sur les durées de connexion, comme l'a constaté Daniel Heaf, directeur du pôle digital de la BBC Worldwide: «Sur Internet, les gens préfèrent les formats vidéo de 3 à 7 minutes, mais sur les tablettes, ils sont plus intéressés par les formats longs pouvant aller jusqu'à 5o minutes.» L'aubaine ne pouvait échapper aux géants du secteur. Soucieux de ne pas se faire distancer, MTV a déjà lancé vingt-cinq applications en 2010 et s'apprête à doubler la mise en 2011. Les représentants de la chaîne précisent d'ailleurs que trois d'entre elles figurent «en permanence» parmi les plus populaires. «Les plates-formes digitales sont maintenant intégrées à l'expérience de l'utilisateur. Elles font partie du système», estime Robert Bakish, président de MTV Networks International.
Couplé aux réseaux sociaux, très prisés des mobinautes qui souhaitent rester en contact permanent avec leurs «amis», le cocktail semble particulièrement efficace en termes d'audience. MTV a ainsi monté des opérations de diffusion en collaboration avec Facebook qui ont fait augmenter la durée moyenne des connexions jusqu'à deux heures… De quoi faire saliver d'avance les publicitaires.
Du côté des producteurs d'information traditionnels, tels les journaux, c'est sans doute l'éditeur suédois Bonnier qui a poussé l'expérience le plus loin. Un an avant la sortie de l'Ipad, alors que la machine n'était encore qu'une rumeur, il a mobilisé une équipe pour concevoir un projet éditorial pour cette plate-forme. «Nous avons complètement déconstruit le magazine traditionnel en nous appuyant sur des experts de Berg, un cabinet londonien spécialisé dans les interfaces issues des nouvelles technologies», explique Sara Öhrvall, directrice du département R&D. Lancée en avril, la version Ipad de Popular Science n'est vendue qu'au numéro (5 dollars) car Apple ne permet pas de souscrire d'abonnement annuel. Bonnier assure cependant que les ventes sont au rendez-vous, notamment grâce à un bon buzz initial. L'éditeur suédois a estimé les résultats suffisamment probants pour pousser ses feux: il vient d'avoir la même initiative pour Popular Photography, un autre de ses titres phares.
Si les producteurs de vidéo, comme MTV, misent très clairement sur les réseaux sociaux pour faire vivre à leur public une expérience plus riche en partage, les médias écrits sont sans doute condamnés à tâtonner. Le succès de leurs versions pour Ipad et autres tablettes repose en effet sur une alchimie complexe qui devra combiner les attentes des lecteurs – encore en devenir au demeurant – avec des «plus», tributaires en grande partie du contenu. L'avenir reste donc ouvert et il n'est pas dit que les premiers arrivés seront les premiers servis: construire un lien avec des lecteurs reste une histoire particulière dont le marketing ne résoudra sans doute jamais complètement l'équation.
encadré
Google obéit au doigt et à la voix
Désormais, il suffit de photographier une publicité pour qu'elle soit immédiatement reconnue! Merci qui? Google bien sûr. Ses recherches dans le domaine de la reconnaissance vocale ont aussi permis au géant de la recherche de proposer deux autres applications bien pratiques. Vous êtes en retard, mais déjà dans l'ascenseur les bras chargés de dossiers? Il suffit de dicter à votre mobile d'envoyer un mail à John pour le prévenir! Et si vous êtes à Pékin face à une vendeuse qui ne parle pas un mot d'anglais? Sortez votre Iphone et il sera votre interprète…