La couverture a provoqué des torticolis chez la gent masculine new-yorkaise au printemps dernier. Chevelure incandescente, peau laiteuse et courbes surnaturelles, Christina Hendricks, plantureuse actrice de la série phénomène Mad Men, faisait la une de New York Magazine, vêtue d'un simple corset.
Ce cliché d'une femme aux formes épanouies, loin des canons de beauté actuels, mais néanmoins fatale, fut l'un des plus gros «buzz» de la presse américaine. Tout comme la couverture de septembre, «Inventing Facebook», à l'occasion de la sortie du film de David Fincher, The Social Network.
L'hebdomadaire y relate dans un article au long cours sa rencontre avec Aaron Sorkin, le scénariste le plus doué de sa génération, mais aussi le plus secret, dans un article qui commence par ces mots: «J'ai “poké” [terme propre au réseau social, qui indique une sorte de tape sur l'épaule virtuelle] Aaron Sorkin […]. Mais Sorkin ne m'a jamais poké en retour…»
Angles inédits, écriture virevoltante, couvertures-chocs pour quasiment chaque numéro: l'hebdomadaire culturel et politique n'a jamais autant fait parler de lui, détrônant presque la référence absolue de la presse magazine, Vanity Fair. De plus en plus d'éditeurs s'en réclament. En France, Louis Dreyfus, directeur général des Inrockuptibles, revendiquait la filiation avec New York Magazine, lors de la sortie de la nouvelle formule des Inrocks, le 15 septembre dernier. Il y a deux semaines, Nora Ephron, ex-épouse de l'homme du Watergate Carl Bernstein, réalisatrice et ancienne journaliste à Esquire, déclarait au magazine en ligne Salon: «Si tout était à refaire et que je venais de finir mes études, je voudrais travailler pour New York Magazine.»
Enfant prodige
Lancé en 1968 par le graphiste Milton Glaser et le journaliste Clay Felker pour concurrencer le vénérable et cérébral New Yorker, le titre a dès le départ adopté un ton abrasif, avec des contributeurs comme l'écrivain Tom Wolfe. Le vieux renard des médias Rupert Murdoch ne s'y trompera d'ailleurs pas: il mènera une OPA hostile sur le titre en 1976, pour en sortir en 1991.
Racheté par le financier Bruce Wasserstein, le titre a jalonné son histoire de coups d'éclat, dont le premier reportage magazine sur Bill Clinton, dix mois avant son élection en 1992. Mais c'est depuis 2004 que New York Magazine est monté en régime, remportant davantage de prix que n'importe quelle autre publication américaine.
La date coïncide avec l'arrivée à sa tête de l'un des enfants prodiges de la presse américaine: Adam Moss, ancien du New York Times, considéré outre-Atlantique comme l'égal d'un Graydon Carter (Vanity Fair) ou d'une Tina Brown (New Yorker, The Daily Beast). À son arrivée, il remplace un bon nombre d'écrivains contributeurs par de vrais journalistes, et revoit de fond en comble la politique photo du titre.
Mais surtout, en 2006, il repense entièrement le site de l'hebdomadaire, nymag.com, le faisant passer d'un site d'archives à un site d'information foisonnant, réactualisé toutes les quatre minutes, et qui reçoit aujourd'hui 8 millions de visiteurs uniques mensuels. Le 1er novembre, Moss lançait son application Ipad.
Le magazine est sans nul doute l'un des plus florissants du moment, mais Adam Moss voit déjà plus loin. Lors d'une conférence à l'école de journalisme de la City University of New York en septembre dernier, il assénait: «Nous adorons la presse, mais nous avons le sentiment que d'ici une poignée d'années, le papier sera uniquement la vitrine du titre. Le gros des recettes viendra de la version numérique.» On a tout intérêt à le croire.