Tout est sans doute dans le nom inscrit sur l'interphone: «Bliss» («béatitude» en anglais). Au quatrième étage de la cossue rue de Lisbonne, à Paris, l'univers est immaculé, comme ouaté. Jean-Louis et Perla, les époux Servan-Schreiber, accueillent ici, dans les locaux de leur nouvelle société. L'entrée est placée sous le haut patronage de Souk, chien bien-aimé de «JLSS», disparu il y a un mois et immortalisé dans un cliché signé Harcourt. Zen toujours: tels le yin et le yang, lui est entièrement vêtu de noir et elle en blanc de pied en cap. Si le couple reçoit ce jour-là, c'est afin de raconter «leur nouvelle aventure de presse», le bimestriel Clés, qui sort en kiosques le 25 novembre.
Pourtant, il y a deux ans, lorsque JLSS et son épouse quittent Psychologies magazine, racheté à 100% par Lagardère Active, leur projet est des plus simples: «Nous souhaitions écrire un livre chacun [Trop vite (Albin Michel) pour Jean-Louis, Le Bonheur de cuisiner (La Martinière) pour Perla] et surtout voyager», explique Perla Servan-Schreiber. Mais là, «patatras! La fièvre nous a repris!», s'exclament-ils en chœur. «J'ai toujours été sensible à ce qu'exprime une époque et essayé de le traduire en magazines, explique JLSS. Des Trente Glorieuses provient L'Expansion,etla recherche du bonheur de la fin du XXe siècle a inspiré Psychologies.»
«Lutter contre la trivialisation de tout»
Clés, comme son nom le sous-entend, aurait plutôt pour ambition de «donner des repères, à un moment où la société se trouve déboussolée». À l'instar de Psychologies magazine, racheté par JLSS en 1997 alors qu'il existait depuis 1970, Clés est né voilà 22 ans. Fondé par Marc de Smedt (par ailleurs éditeur chez Albin Michel), qui continue à diriger la publication, le titre est à l'origine un «trimestriel écolo-spirituel», explique JLSS. Cependant, pour le relancer et le passer à une périodicité bimestrielle, le couple Servan-Schreiber «est quasiment parti d'une page blanche».
Au sommaire du magazine, dont le sous-titre propose de «retrouver du sens», tout ce qui «ne relève pas de l'éphémère».«Avec l'âge, nous sommes devenus snobs, s'amuse Jean-Louis Servan-Schreiber. Il s'agit de lutter contre la trivialisation de tout, y compris de la presse.» L'historien Jean-Noël Jeanneney, les philosophes Roger-Pol Droit, Gilles Lipovetsky et Edgar Morin, les sociologues Denis Muzet et François de Singly… Clés s'est doté d'un conseil éditorial de 22 personnalités du monde des idées. Beaucoup de gris dans ce magazine luxueux, à la maquette soignée et aux articles au long cours, parfois sur près de 20 000 signes. Une publicité très écrite, qui exprime le credo de Clés, accompagnera ce relancement – «Une campagne de lecture pour un magazine de lecture», résume JLSS.
L'Oréal, Clarins, Evian: les annonceurs se sont rués sur le premier numéro, lancé en toute discrétion le 25 septembre afin de «roder le concept». Le deuxième contiendra 48 pages de publicité pour 170 pages au total, et escompte une diffusion de 50 000 à 100 000 exemplaires à terme. «Cela nous change des débuts de Psychologies, où nous devions arracher des pages de publicité au forceps, et où les marques se demandaient bien ce qu'elles pouvaient venir faire là-dedans…», se souvient en souriant Perla Servan-Schreiber. Les époux présentent également une application Ipad qui proposera le titre pour 15 euros les 6 numéros (contre 20 euros les 6 numéros pour la version papier). D'ailleurs, explique Perla, «Clés a été conçu comme un bel objet de l'ère Iphone et Ipad, qui a une fonction presque tactile: tous les gens qui le reçoivent ont envie de le toucher.» «Comme s'il s'agissait d'un chien…», rebondit Jean-Louis, éternel amoureux de la race canine. On ne se refait pas.