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La télévision ne représente pas assez les minorités visibles? La presse s’est saisie de ce sujet pendant des mois… sans jamais vraiment s’interroger sur elle-même. Contre-enquête dans les rédactions et auprès des directeurs de ressources humaines.

La presse écrite a l'art de poser les questions… mais aime moins quand on lui en pose. Le rapport Spitz établi par la commission sur la diversité dans les médias, rendu public en mai dernier, en est la preuve: seuls 20,8% des médias de presse écrite ont renvoyé le questionnaire.

«L'année dernière, le débat sur la représentation des minorités s'est focalisé sur la télévision, lance Claire Frachon, journaliste et co-coordinatrice de l'ouvrage Médias et Diversité (Editions Karthala). Et la presse écrite ne s'est pas privée de relayer le sujet, sans vraiment se sentir concernée.» «Normal, lance Nordine Nabili, responsable de l'antenne de l'École supérieure de journalisme à Bondy et ancien rédacteur en chef du Bondy Blog. Un présentateur noir ou arabe sur le petit écran, c'est tout de suite plus visible qu'une signature en bas d'un papier.» Laquelle, en elle-même, n'est pas toujours signifiante.

C'est un fait: question diversité, la presse écrite est sérieusement en retard. Les grands quotidiens et quelques groupes ont bien signé une charte au printemps dernier, mais sans obligation. «Si les décideurs de l'audiovisuel ont compris l'enjeu de la diversité, ceux de la presse écrite continuent de penser que leur média est avant tout là pour informer, pas pour représenter la société», estime Amirouche Laïdi, président du club Averroes. Pour les responsables ressources humaines de la presse, la question n'est pourtant pas aussi tranchée. Tout dépend de quelle diversité on parle. Si par diversité, on entend femmes, les médias revendiquent avec fierté des chiffres plutôt positifs. «Nous avons recruté 35 journalistes en 2009, dont 23 femmes! Et ce n'est pas seulement la conséquence du lancement du féminin Be», lance Denis Langlois, DRH de Lagardère Active.

C'est quand on parle minorités visibles et diversité ethnique et sociale que le sujet devient plus délicat. «La presse est blanche», n'hésite pas à dire Nordine Nabili. Dans le rapport Spitz, les médias estiment que leurs journalistes issus de la diversité sont moins de 5%. Un coup d'œil aux organigrammes des quotidiens et magazines suffit pour voir qu'on est loin du melting-pot. Pour les recruteurs, la faute revient avant tout à la pyramide des âges. «À l'AFP, 56% des 800 journalistes de statut siège ont plus de quarante-cinq ans, lance Philippe Massonnet, directeur de l'information. Vu l'histoire de notre pays, vous pouvez dessiner le profil de la rédaction: que des petits Blancs!»

Eviter la reproduction sociale

Au Monde, où les plans sociaux ont été plus récurrents que les recrutements, «la photographie de la rédaction remonte à une époque où la diversité n'était pas une préoccupation», dit Frédéric Ranchet, DRH du groupe. L'est-elle aujourd'hui? Globalement, le discours des recruteurs est politiquement correct: oui, il faut que l'on intègre davantage de journalistes issus de la diversité. «Mais ce sont des montagnes que l'on doit faire bouger!», s'exclame-t-il. Olivier Léaurant, DRH du Figaro, affirme qu'«il y a une volonté d'avoir une rédaction représentative de la société française», mais convient qu'il discute peu du sujet avec sa hiérarchie.

Beaucoup de médias invoquent le problème de la formation. En clair, les CV de candidats issus d'écoles de journalisme se ressemblent: jeune blanc aisé, plutôt sorti de Sciences Po que de l'université. L'ESJ Lille indique que sur les cinq dernières années, 65% de ses étudiants sont issus de milieux sociaux favorisés, moins de 2% proviennent de familles ouvrières et seulement 10% bénéficient d'une bourse publique. Pourquoi? D'abord parce que la scolarité dans les écoles de journalisme est longue et chère. «Il y a aussi un réel problème d'orientation. Journaliste, c'est un métier prestigieux qui paraît inaccessible dans les milieux défavorisés», pense Nordine Nabili, de l'ESJ. «C'est aussi parce qu'il n'y a pas de référents, renchérit Amirouche Laïdi, du club Averroes. Pour moi, il faut que des journalistes issus de la diversité deviennent des modèles, pour montrer aux jeunes qu'exercer ce métier est possible. Encore faut-il qu'ils acceptent d'être des porte-drapeaux.» Ce qui est loin d'être évident pour des rédacteurs qui estiment avoir embrassé la carrière par leurs seules compétences.

Pour éviter la reproduction sociale, les initiatives se font jour. Depuis septembre 2009, l'ESJ Lille et le Bondy Blog ont mis en place une préparation aux concours de journalisme réservée aux boursiers de moins de vingt-six ans. L'été dernier, sur les 19 jeunes présentés, 12 ont intégré une école reconnue. Le Centre de formation des journalistes a, lui, diminué de moitié les frais de scolarité pour les boursiers. «La dynamique est en marche, mais on n'a pas résolu le problème parce qu'on a placé une douzaine de gamins dans des écoles, nuance Nordine Nabili. Pour moi, il faut que le ministère de l'Éducation se penche sur la question, qu'il y ait un service public de préparation aux grandes écoles, des interventions dans les lycées, etc.»

Dans les rédactions, c'est souvent par l'alternance ou la formation continue que l'on diversifie les équipes. «Ouest France accueille depuis trois ans des journalistes en contrats de professionnalisation, des jeunes qui ont besoin de travailler pour financer leurs études», explique Pierre Baudhuin, son DRH.

«À compétences égales, pour les contrats de qualification, nous privilégions la diversité sociale», affirme Frédéric Ranchet, du Monde. Chez Lagardère Active, on annonce que dès 2011, en partenariat avec des écoles reconnues, deux ou trois jeunes «issus de la diversité sociale» intégreront le groupe en alternance. La bourse AFP permet, elle, de recruter des gens qui ne sortent pas d'une école de journalisme.

Une jeunesse très diverse

Plus de transparence dans les recrutements pour éviter la cooptation, c'est aussi l'un des challenges de la presse. «Depuis que l'on publie nos offres sur Bale.fr et Talents.fr, nous avons des candidatures un peu plus diverses», affirme Frédéric Ranchet. «Mais il est vrai que le changement opère lentement, très lentement», avoue Philippe Massonnet, de l'AFP.

«Une rédaction uniforme, c'est une rédaction qui se prive de la multiplicité des regards, et donc d'un lectorat», pense Nordine Nabili. Pour la journaliste Claire Frachon, «les choses bougeront lorsque la presse aura compris qu'il y a un enjeu de croissance derrière cette notion de diversité».

Le lectorat finira-t-il par s'éloigner d'un «rédactorat» qui le réprésente si mal en apparence? «On ne peut pas dire qu'on veut recruter des gens issus de la diversité pour ressembler à la société et plaire à telle ou telle minorité», pense Frédéric Ranchet. Mais il affirme que si Le Monde veut rajeunir son lectorat, il faut prendre en compte une jeunesse très diverse, qui compte des Noirs, des Blancs, des Arabes…

«Pour qu'un jeune lecteur se sente concerné par un journal, il faut à la fois un référent en termes de signature, mais aussi, et surtout, un contenu qui lui ressemble», insiste Amirouche Laïdi, du club Averroes. Au quotidien britannique The Guardian, la diversité est à tel point devenue un enjeu de «business» qu'il y a été nommé un «diversity manager». Une idée à importer en France?

 

 

«Une consigne: pas de Noir, pas d'Arabe…»

«Nous avons une consigne claire: pas de Noir, pas d'Arabe, pas d'Asiatique en photo dans le magazine, et surtout pas en couverture.» Cet aveu d'un journaliste de presse économique fait froid dans le dos. L'argument de la hiérarchie? Cela ne fait pas vendre.

La presse féminine, pour sa part, se dit prisonnière des photographies de défilé et de collections. «La mode est essentiellement représentée par des filles blanches. Alors, on essaie de se rattraper sur les commandes photos des sujets qu'on produit, affirme Valérie Toranian, directrice de la rédaction du magazine Elle. Quand on fait un sujet comme “Avoir 20 ans en France”, il nous paraît naturel d'avoir des filles issues de l'immigration. On ne fixe pas de quota, c'est une évidence.»

Pour Amirouche Laïdi, du club Averroes, Le Parisien est le plus avancé en termes de représentation des minorités: «Les micros-trottoirs sont toujours très divers, idem pour les experts et les gens interviewés.» Il n'existe malheureusement aucune étude montrant comment les populations issues de la diversité se sentent représentées par la presse.

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