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Nicolas Seydoux, président de Gaumont, préside le Forum d’Avignon, qui s'ouvre le 4 novembre et se consacre depuis deux ans à développer les liens entre culture, économie et médias. Interview.

Quelles seront les lignes directrices de cette troisième édition du Forum d'Avignon?

Son thème est: «Nouveaux accès, nouveaux usages à l'ère numérique: la culture pour chacun.» Une étude de Bain&Cie y sera notamment dévoilée sur l'écrit à l'heure du numérique. Après la musique et le cinéma, le livre entre à son tour dans la révolution qui se présente à nous avec la multiplication des tablettes. D'ici à cinq ans, le livre sur format numérique représentera autour de 20% de l'édition en littérature générale, 25% en Corée du Sud et plutôt moins de 20% en France. Sous réserve que les éditeurs restent maîtres de la chaîne de valeurs et donc des prix, le numérique peut être une chance pour l'écrit. On le voit avec ce qu'apportent les moteurs de recherche aux dictionnaires ou à la cartographie. On s'est aussi penché sur le micropaiement. Il n'y avait jusqu'alors aucune réflexion internationale sur ce sujet. A Avignon, on compte trente nationalités et quatre cents participants.

 

Le numérique est-il aussi une chance pour les journaux?

La presse est montée dans le train trop tard. Elle a laissé le gratuit se développer avec ses informations. Comment défendre la propriété intellectuelle quand son concurrent est gratuit? Il est aujourd'hui extrêmement difficile de revenir en arrière. Dès lors qu'elle fournit une information moins disponible où le travail du journaliste est visible, la presse spécialisée sera moins touchée, car elle offre une valeur ajoutée importante. Mais la situation sera extraordinairement délicate pour la presse généraliste.

 

La vidéo est de plus en plus à l'honneur sur Internet. C'est aussi ce qui se monétise le mieux sur le plan publicitaire. Pensez-vous que l'image peut venir en aide aux industries de l'écrit?

Oui, si vous éditez un magazine comme Paris Match. Il y a deux ans, on était soit photographe soit caméraman. Aujourd'hui, on trouve des appareils photos qui permettent de tourner avec une qualité équivalente à une caméra 35 millimètres. Mais si votre journal est Le Monde, les Echos ou Stratégies, votre fonds de commerce ne sera jamais sur les images. Concernant la publicité, qui est le moteur permettant à la presse d'être indépendante, les journaux en ligne doivent veiller, pour les tablettes, à ce qu'on ne puisse pas passer d'une image à l'autre et sauter les messages publicitaires. Si je suis capable de proposer des vidéos inédites avec de la publicité, il peut y avoir des revenus complémentaires…

 

Nicolas de Tavernost, le président de M6, refuse d'apporter ses contenus à Google TV. Pensez-vous qu'il faut faire de la résistance à Google?

Il y a un moment où il est trop tard pour faire de la résistance. Mais la question que pose le président de M6 est fondée dès lors qu'il achète des programmes: nul ne peut assurer l'avenir d'une entreprise si ses biens et ses services sont fournis gratuitement sans qu'il en tire de revenus. De même, je persiste à dire qu'il n'est pas souhaitable que les livres de la BNF [Bibliothèque nationale de France] soient uniquement sur Google. L'idée qu'il n'y ait demain qu'un seul moteur de recherche qui classe l'information est extrêmement grave. D'autant qu'il peut très bien y avoir de l'information non vérifiée et que ce moteur peut passer sous le contrôle d'un autre propriétaire. La puissance publique aurait bien fait d'avoir un regard très attentif sur le sujet. Si les bibliothèques s'étaient mises d'accord, par exemple, pour avoir leur propre moteur de recherche, cela aurait eu du sens. Mais je n'ai pas le sentiment que ce soit la politique suivie.

 

Où en êtes-vous de la vente de votre catalogue de films sur des plates-formes payantes comme Itunes?

Avec 1 000 films disponibles, et 5 000 sur les plates-formes des fournisseurs d'accès, nous avons aujourd'hui une offre légale cinématographique. Depuis septembre, nous comptons un millier de titres pour l'Ipad, ce qui signifie que dans un trou perdu et quel que soit le décalage horaire éventuel, vous pouvez regarder un film. Bien sûr, la croissance des ventes est considérable, mais nous partons de zéro et tant que le téléchargement illicite sera aussi abondant, ce sera difficile…

 

L'idée d'une licence globale ne reprend-t-elle pas de la vigueur?

J'y suis totalement opposé. La vie d'une œuvre cinématographique est fondée sur le respect d'une chronologie: la salle, puis la vidéo, puis la chaîne payante, et enfin la chaîne généraliste. Si vous ne la respectez pas, vous tuez l'une ou l'autre. Cette chronologie est incompatible avec la licence légale.

 

La 3D est-elle de nature à doper l'industrie du cinéma?

On verra au Forum d'Avignon ce qui peut être fait demain avec une visite en 3D de la pyramide de Kheops par Dassault System. Avec Avatar, James Cameron a montré qu'on pouvait penser son scénario et son film en trois dimensions. Par rapport à la profondeur que donne la perspective découverte par la Renaissance italienne, la 3D apporte du relief vers vous. Cela va tout changer pour certains sports, quand vous avez le ballon, par exemple, qui vient vers vous. Idem pour des films comme Atlantis ou Le Grand Bleu. En revanche, pour des films comme Le Dîner de cons, cela ne donnera aucune raison complémentaire d'aller au cinéma. Les films gonflés en 3D, mais pas imaginés comme tel, ont déçu. En tout cas, toutes nos salles pourront passer un film en 3D. Je ne vois pas pourquoi elles ne pourraient pas aussi retransmettre, de façon minoritaire, un grand opéra ou un spectacle exceptionnel.

 

Un rapport du sénateur Hervé Maurey propose une taxe sur les forfaits Internet et mobile pour financer le déploiement national de la fibre optique. L'approuvez-vous?

Tout le monde a-t-il besoin de très haut débit? Faut-il mettre de la fibre optique dans les petits villages? Ne pourrait-on pas relier les endroits isolés par satellite? En cette période de disette budgétaire, l'essentiel du territoire doit être équipé. Mais on ne peut pas traiter certains villages du Massif central comme la région parisienne. L'égalitarisme n'est pas l'égalité. Tous les Français ne sont pas reliés aux autoroutes. Il faut un choix politique plus responsable pour aller plus vite et de façon plus ciblée.

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