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Le président de Radio France, qui vient de souffler sa première bougie à la tête du groupe, a su préserver l'indépendance des radios publiques. Mais les syndicats pointent chez lui beaucoup de maladresses.

Pas facile d'étrenner le nouveau mode de nomination des patrons de l'audiovisuel public. Arrivé le 12 mai 2009 à la tête de Radio France, Jean-Luc Hees a hérité d'une maison en pleine mutation et d'une étiquette de candidat de l'Elysée. «Je ressens encore une vigilance forte de la part de l'extérieur, notamment de la presse écrite. Mais je n'ai jamais parlé de Radio France avec le président de la République», confie à Stratégies le PDG de Radio France. Celui qui n'hésite pas à appeler l'Etat «notre actionnaire» et «déteste le mot tutelle» a dû composer depuis son arrivée avec la méfiance d'un groupe de radio jaloux de son indépendance. «Il est difficile de vivre avec ce soupçon permanent, mais il est inhérent au mode de nomination», affirme Valéria Emanuele, déléguée SNJ à France Inter. Pourtant, l'intéressé s'en sortirait plutôt bien sur ce plan, selon Olivier Boste, délégué SNJ-FO à France Info: «Ce qu'on peut mettre à l'actif de Jean-Luc Hees, c'est que malgré sa désignation par l'Elysée et certaines sorties intempestives, l'indépendance est au rendez-vous», souligne-t-il.

Il n'empêche, quelques maladresses ont entretenu une certaine défiance. Dès sa première semaine, le successeur de Jean-Paul Cluzel débarque dans le studio de France Inter en pleine matinale. L'intrusion est mal perçue. Peu après, son ami Philippe Val, qu'il a nommé à la tête de la station, déclare que France Inter coûte cher à «l'actionnaire», provoquant l'ire de la rédaction et des syndicats. Autre point de tension, les excuses publiques présentées fin mars 2010 à Eric Besson suite à une chronique au vitriol de l'humoriste de la matinale de France Inter Stéphane Guillon. «Lorsque Philippe Val déclare que France Inter coûte cher à l'actionnaire, c'est une façon marquée de signifier à la station qu'elle doit rentrer dans les rangs. Et quand Jean-Luc Hees présente des excuses à Eric Besson, il tend le bâton pour se faire battre», affirme Jean-Paul Quennesson, élu au comité d'entreprise. Signe visible de ces tensions, les billets de Stéphane Guillon prenant pour cible ses patrons ont défrayé la chronique ces douze derniers mois. Une guerre médiatisée qui est devenue le symbole de l'indépendance de France Inter. Difficile, dans ses conditions, de congédier l'humoriste, qui pourrait toutefois être programmé à un autre horaire… «Est-ce que je suis satisfait de Stéphane Guillon, non. Mais je n'en ferai pas un martyr», assène Jean-Luc Hees. 

Quelques petites idées

Particulièrement attaché à France Inter, station qu'il a dirigée pendant cinq ans (1999-2004), le patron, qui exhibe sa carte de presse devant l'Association des journalistes médias et lâche un «Je crèverai journaliste», estime que les tensions au sein de la station sont monnaie courante. «Il y en a toujours eu à France Inter: c'est une des forces de la station», pointe-il. En interne, on s'alarme toutefois sur les méthodes parfois jugées brutales du directeur, Philippe Val. «Lorsqu'il a annoncé fin décembre le changement d'horaire de la matinale [6h30 au lieu de 7heures], les collaborateurs n'en ont été avertis qu'à la dernière minute. Nous lui avons demandé de nous garantir que cela ne se reproduirait plus. Il a refusé», regrette Valéria Emanuele. Le changement de culture depuis l'arrivée de l'ancien patron de Charlie hebdo se fait aussi sentir sur le volet éditorial. «Philippe Val s'est impliqué dans le recrutement du rédacteur en chef de la matinale, Renaud Dély, ce qui était habituellement une prérogative de la direction de la rédaction», pointe Valéria Emanuele.
La patte de Jean-Luc Hees, homme de programme, s'est aussi imposée sur les grilles de Radio France. Journée de commémoration de la chute du mur de Berlin, journée spéciale Elisabeth Badinter puis, prochainement, 70e anniversaire de L'Appel du 18 juin… La programmation concertée ne fait pas l'unanimité en interne. «L'opération mur de Berlin a été mal perçue. Il y a un ras-le-bol général de ce type de journées spéciales. Ce n'est pas tant l'idée qui est mauvaise, mais ces journées sont trop fréquentes et portent sur des sujet pas toujours facinants», renchérit Valéria Emanuele. «Je vais continuer à proposer mes petites idées, car ces journées ont du succès auprès des auditeurs», se défend Jean-Luc Hees.

«Un média de masse»

Le véritable test est toutefois attendu pour les grilles de la rentrée 2010, traditionnellement connues en juin. «A France Inter, nous avons des inquiétudes pour les émissions Esprit critique et Et pourtant elle tourne, dont le maintien dans la grille de septembre ne nous a pas été confirmé par Philippe Val», explique Valéria Emanuele. Si la grille de France Inter n'a évolué qu'à la marge cette saison, Jean-Luc Hees n'a pas chômé pour autant sur la réforme des stations. La grille de France Info a été totalement réorganisée, «et l'érosion a été stoppée», se félicite Jean-Luc Hees. «Il y avait une volonté de changer au sein de cette station. Jean-Luc Hees s'est beaucoup investi mais il n'a pas été interventionniste», pointe Olivier Boste, délégué SNJ-FO à France Info. En interne, on se félicite également du tournant pris par le réseau de radios locales France Bleue. «Alors que la direction précédente avait parfois tendance à imposer sa vision parisienne, les radios locales semblent revenir à leur mission d'origine», juge Jean-Paul Quennesson. «Je veux que Radio France gagne encore des auditeurs. Nous sommes un média de masse, ce n'est pas un gros mot», lâche Jean-Luc Hees.

La première année a également été ponctuée par les nombreux chantiers administratifs. Outre la réhabilitation de la Maison ronde, le PDG a hérité de la négociation d'une nouvelle convention collective. «C'est le dossier le plus lourd de cette première année», affirme-t-il. Pour le moment, les syndicats CFDT et SUD ont signé un accord de méthode, qui prévoit une issue en novembre 2010. La négociation du contrat d'objectifs et de moyens 2010-2014 (COM) a, elle aussi, occupé une large place. Après six mois de négociation, le nouveau COM est quasiment bouclé et devrait être validé avant la fin du mois de juin. «Je crois qu'on s'est fait comprendre. Notre vision des choses est assez bien perçue par notre actionnaire», se félicite Jean-Luc Hees. Du côté des syndicats, le résultat du COM est attendu de pied ferme. «C'est le dossier qui permettra de valider ou non la transformation de Jean-Luc Hees en PDG», tranche Olivier Boste.

 

Radio France en chiffres

13,6 millions d'auditeurs, soit 26,1 %, en audience cumulée.

7 stations : France Inter, France Info, France Culture, France Musique, France Bleu, FIP et Le Mouv.

4 formations musicales : l'Orchestre philarmonique de Radio France, l'Orchestre national de France, le Chœur de Radio France et la Maîtrise de Radio France.

611 millions d'euros de budget annuel en 2009.

5,7 millions d'euros de résultat net.

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