Medias
Alors qu'Alexandre Bompard est favori pour lui succéder, Patrick de Carolis choisit l'affrontement avec Nicolas Sarkozy en gelant la privatisation de la régie publicitaire.

Ce n'est qu'un malheureux concours de circonstance, mais la décision – contestée – de la présidence de France Télévisions de flouter les visages des deux journalistes de France 3 otages en Afghanistan, tout en révélant leurs noms à la demande des familles, apparaît à l'image de la stratégie et l'avenir du groupe public: dans le flou.

Mardi 13 avril, le conseil d'administration de France Télévisions, qui s'est soldé par une suspension des négociations engagées avec le consortium Lov-Publicis concernant la vente de la régie publicitaire, n'a pas contribué à éclaircir la situation.

Malgré une fin de non-recevoir adressée par l'Elysée, le groupe public semble tabler sur un maintien de ses recettes publicitaires en journée, et donc sur une révision de la loi qui prévoit leur suppression totale à la fin 2011. Une clause de rendez-vous rend cette option possible avant mai 2011. Mais l'équipe dirigeante arrive en fin de mandat, au plus tard en août. Et c'est à Nicolas Sarkozy de choisir qui va lui succéder.

En faisant voter, par dix voix contre les cinq des représentants de l'Etat, le gel de la privatisation, et non son report au 31 octobre comme cela lui était proposé, Patrick de Carolis n'a, en tout cas, pas hésité à entrer en conflit avec le pouvoir. Quitte à surjouer sa divergence avec Nicolas Sarkozy après avoir lui-même accepté de lâcher du lest en écartant Hi-Média des repreneurs de France Télévisions Publicité.

A moins que ne l'emporte, avec la perspective d'une privatisation de la régie entre les mains d'un nouvel acteur à la fois producteur, acheteur d'espace, conseil et régisseur, la crainte de voir sa présidence entachée par d'éventuels conflits d'intérêt ou des «problèmes déontologiques», comme dit Frédéric Mitterrand…

Alors que toute la presse bruisse de la nomination prochaine d'Alexandre Bombard, PDG d'Europe 1, retour sur une semaine folle où se sont succédé faux-semblants, marche arrière et chausse-trappes.

Tout démarre le 7 avril avec une table ronde de la commission des Affaires culturelles à l'Assemblée nationale. A l'étage, la tribune de presse est bondée pour l'intervention de Jean-François Copé, président du groupe UMP et ex-président de la commission sur l'Avenir de l'audiovisuel public.

Outre un satisfecit sur le «bilan extrêmement positif» de la réforme supprimant la publicité, le député reconnaît du bout des lèvres: «Je pensais qu'il y aurait un beaucoup plus grand transfert vers les chaînes privées.» Certes, l'entreprise unique France Télévisions doit encore «gagner en cohérence et en économies», certes, «il y a des choses à faire sur l'Europe, la science et l'économie», certes, il faudrait sans doute retravailler l'identité de France 3 et de France 4 ainsi que la diversification sur Internet… la phrase essentielle finit pas fuser: «Il n'est pas besoin d'être de gauche ou de droite pour saluer le travail accompli par l'équipe dirigeante.» Et Jean-François Copé d'appeler à l'ouverture d'un débat pour le maintien de la publicité en journée, sachant qu'il n'est pas favorable à une augmentation de la redevance et «connaissant la situation des comptes publics».

Ne manquerait-il pas 400 millions d'euros au financement de France Télévisions? D'autant plus regrettable que c'est justement un surplus de recettes publicitaires diurnes qui permet aujourd'hui au groupe public de sortir du rouge, avec un bénéfice net de 19,6 millions d'euros en 2009 alors que le déficit prévu était de 135 millions.

Comme par enchantement, tous les intervenants de la table ronde – à l'exception notable de Benoît Louvet, directeur délégué de TF1 Publicité, qui demande une «certaine stabilité dans le paysage publicitaire» – font ensuite consensus pour valider cette prise de position autour de la suppression partielle de publicité. Au risque de faire capoter, ou tout au moins d'ajourner, la cession de la régie entre les mains de Stéphane Courbit et de Publicis.

Patrice Duhamel, directeur général de France Télévisions, souligne par exemple qu'il n'y a «aucun enjeu éditorial à supprimer la pub avant 20 heures» et, quelques minutes plus tard, que la confusion des métiers de producteur et de régisseur ne peut que nuire à «sérénité des arbitrages» et entraînerait immanquablement des «risques de suspicion».

De son côté, Gérard Noël, vice-président de l'Union des annonceurs, indique qu'il est également favorable à ce maintien de la publicité en journée car sa suppression «posera problème à des petits annonceurs, notamment des PME, qui comptent sur France Télévisions pour toucher leur cible à un coût privilégié». Un constat partagé par Nicolas Bordas, pour l'Association des agences-conseils en communication, et Dominique Delport, pour l'Union des entreprises de conseil et achat média. Sans se prononcer contre l'externalisation de la régie, ils savent que la perspective d'une proposition de loi, en juin, ne peut qu'entraîner la relance d'un appel d'offres. Même si Stéphane Courbit précise que son accord prévoit «une clause de prix complémentaire» et que «la pertinence de l'ouverture du capital n'est pas liée à l'arrêt de la pub».

Le 7 avril toujours, Damien Cuier, directeur général de France Télévisions, confie à Stratégies que l'hypothèse d'un maintien publicitaire en journée changerait la donne auprès des candidats écartés: «Je ne vois pas comment on fait juridiquement pour ne pas relancer un tour de piste.»

Ce tir croisé visant Stéphane Courbit n'a pas échappé à Alain Minc, le conseiller du chef de l'Etat, qui a programmé l'annonce de la nomination d'un autre de ses protégés, Alexandre Bombard, le jour même du conseil d'administration du 13 avril. Histoire de disqualifier la décision de Patrick de Carolis de suspendre les négociations?

Mais une indiscrétion, lâchée par Alain Minc le 9 avril à la Cité de réussite, va modifier le calendrier durant le week-end. Le chef de l'Etat aurait, dit-on, très peu apprécié de voir déballé au grand jour (dans Mediapart) les liens qui unissent Stéphane Courbit, Alain Minc (son conseiller et actionnaire de Lov à 3%) ainsi qu'Alexandre Bompard et le groupe Lagardère. Surtout, il prend conscience que cette désignation, qui devait apparaître à la fois politiquement cohérente – Bompard est un inspecteur des finances et un ancien du cabinet de François Fillon au ministère des Affaires sociales – et professionnellement incontestable (il a consolidé l'audience d'Europe 1), est en train de passer pour un remake du «club» du Fouquet's.

C'est précisément ce qu'il veut éviter lors de la nomination du patron de France Télévisions. «Cela relève de mœurs qui ne devraient jamais avoir cours dans une démocratie normale, assène déjà Laurent Mauduit, de Mediapart. C'est le contraire de l'habileté politique qu'aurait été une personnalité d'ouverture.» Une appréciation qui, selon certaine sources, peut redonner ses chances à un candidat plus consensuel, comme Rémy Pflimlin, le directeur général de Presstalis.

Contacté par Stratégies le 13 avril, Franck Louvrier, le conseiller pour la communication du chef de l'Etat, se contente pour l'heure de dire que Nicolas Sarkozy n'a pas pris sa décision. Alexandre Bompard? C'est «un homme de grand talent», mais il ne faut pas s'attendre à sa nomination cette semaine.

Quoiqu'il en soit, le président risque d'avoir fort à faire pour calmer le jeu si les conditions de désignation du nouveau maître de la télévision publique ne font pas l'unanimité. Pourra-t-il alors rester dans sa ligne d'une télé sans publicité en journée? «Ce pourrait être dangereux, se risque Christian Kert, député UMP et vice-président de la commission des Affaires culturelles, d'aller à l'encontre de l'opinion des parlementaires et des professionnels.»

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.