Les personnels du Monde vont-ils perdre le contrôle de leur journal à la faveur d'une montée attendue dans son capital de Prisa (de 15% à 34%), en tandem avec l'italien L'Espresso? Les journalistes du quotidien trouveront, en tout cas, un certain réconfort en sachant que leurs confrères d'El País sont les mieux payés de toute la presse écrite espagnole. Selon une étude de l'Association de la presse de Madrid, le salaire moyen annuel d'un rédacteur «junior» s'élève au quotidien madrilène à 53 400 euros, contre 30 000 euros pour El Mundo, son premier concurrent, et jusqu'à 70 000 euros pour un rédacteur «senior» (52 000 euros pour El Mundo). Les journalistes d'El País sont en outre connus en Espagne pour être parmi les plus en phase avec leur quotidien. «La rédaction est très fière de travailler là et croit aux valeurs du journal», explique un journaliste vétéran. Si les rédacteurs s'identifient avec la ligne d'El País, un quotidien de gauche né avec les prémices de la jeune démocratie, en 1976, ils ne se sentent pas forcément liés aux intérêts économiques de son propriétaire, le groupe Prisa (créé en 1972). Encore moins si les visées de ce poids lourd de la communication en Espagne et en Amérique latine semblent marquer la ligne éditoriale du journal.
Malaise renforcé parmi les employés du groupe
Alors que Prisa était engagé dans un bras de fer avec le gouvernement socialiste espagnol et un concurrent proche de la gauche, Mediapro, en 2009, un grand nombre de lecteurs ont ainsi eu la sensation de voir leur journal entrer dans la bataille, aux côtés de la radio du groupe, la SER (Sociedad española de radiodifusión) – la plus écoutée en Espagne –, et de sa télévision, la chaîne en clair Cuatro (Mediapro en faisant tout autant avec ses propres plates-formes en face).
Si bien que Milagros Pérez Oliva, défenseur du lecteur, avait conclu un papier hebdomadaire en septembre dernier par une mise en garde : «Ce sont les journalistes qui font le quotidien, et les intérêts de l'entreprise ne doivent pas interférer dans leur travail, même pas de manière subliminale.» Le puissant comité de rédaction exprimait alors aussi son malaise en interne.
L'entrée annoncée du fonds d'investissement américain Liberty Adquisition au capital du très endetté Prisa (finalement repoussée au 19 avril), la fusion en apparence contre nature de sa chaîne Cuatro avec Telecinco, propriété du groupe de Berlusconi, et les projets de réduction des coûts ont renforcé le malaise chez les employés du groupe, qui pourraient se rassembler bientôt devant le bureau de son conseiller délégué, Juan Luis Cebrián. Celui-ci a justement plaidé récemment pour un changement de la gouvernance du Monde…
