Face aux scandales alimentaires à répétition, la psychose pourrait bien rejoindre les assiettes. D’où l’importance de bien communiquer pour une marque. Trois experts en communication de crise rapportent les leçons à en tirer.
Bien manger mais à quel prix ? Les mois de mars et avril en France ont été entachés par des scandales sanitaires auxquels ont dû faire face trois acteurs de l'agroalimentaire : Lactalis, Ferrero et Nestlé. Comme un mauvais feuilleton, chaque semaine apportait un nouvel élément ajoutant une couche supplémentaire dans l’escalade de l’horreur. Certes, les scandales sanitaires ne sont pas nouveaux, tout comme les rappels alimentaires : Lactalis et ses laits contaminés, de la viande de cheval dans les lasagnes Findus et Picard, les steaks contaminés… Des fautes graves qui ont marqué les mémoires et qui posent des questions sur les contrôles sanitaires de ces grands groupes. Autre problématique : la gestion de crise de ces entreprises. Quand certaines lancent un rappel lisible et visible, d’autres tardent à réagir. Au risque de créer une psychose et de faire fuir les consommateurs.
Rappel des faits
Tout a commencé avec Nestlé en mars 2022. Les pizzas Fraîch’up de Buitoni sont suspectées de cas d’infection dus à la bactérie E. coli. Elles sont donc rappelées dès le 18 mars. Cette contamination provoque le décès de deux enfants en France. Un communiqué de presse est diffusé sur le site internet de Buitoni accompagné d’un témoignage filmé du directeur de l’usine de Caudry (59). En parallèle, des photos sont publiées remettant en cause l’hygiène de l’usine Nestlé. Depuis la suspension de la production, une enquête judiciaire du parquet de Paris a été ouverte le 22 mars pour « homicides involontaires », « tromperie » et « mise en danger d’autrui ». Le 4 avril, c’est au tour du groupe Ferrero de rappeler des chocolats Kinder dont ses Kinder Surprise, possiblement porteurs de la salmonelle. Le 11 avril, la justice belge annonce avoir ouvert une enquête pour établir d’éventuelles responsabilités au sein de l’usine de chocolats Kinder, située à Arlon, à l’origine de cas de salmonellose dans plusieurs pays d’Europe. Le dernier gros rappel de produits provient du géant Lactalis, le 5 avril. En cause, des fromages au lait cru de type coulommiers ou brie contaminés par la Listeria et commercialisés par l’enseigne Les Fromageries de Normandie, rachetées par Lactalis en 2016. 24 000 fromages sont soupçonnés d’être infectés.
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Communiquer ou ne pas communiquer ?
Reconnaître ses torts n’est pas chose aisée. Lorsque la santé est en jeu, les entreprises sont dans l’obligation légale et morale de rappeler les produits. Au regard de ces trois affaires de contamination, il y a eu les bons élèves : « La com de crise ne fait pas de miracles, mais une com de crise bien conçue peut faire baisser la criticité d’un sujet, si on met en place une stratégie précoce comme l'a fait Graindorge, par exemple », avance Sophie Licari, consultante en communication stratégique et chargée d’enseignement. Et les moins bons : «Que ce soit Buitoni ou Ferrero, les explications ont tardé à arriver et parfois, elles ne sont pas arrivées du tout, avec, en fond, des problématiques de suivi de la qualité et la responsabilité de l’entreprise», explique Jean-Christophe Alquier, président-directeur général chez Alquier Communication. De tels groupes ont à disposition des sites, des réseaux sociaux et même la presse. Pourtant, certains ont attendu que les autorités prennent les devants et communiquent à leur place. « Les réseaux sociaux n’ont pas été utilisés ou peu, on se croirait en 2000. Alors qu’ils sont équipés en communicants, en community managers… N’importe quelle entreprise est normalement prête à informer les gens avec un communiqué rédigé, un numéro vert… Autant de laxisme, cela ne s’explique pas, si ce n’est un manque de préparation et d’anticipation », perçoit Florian Silnicki, fondateur de l’agence de communication de crise La French Com.
Des crises plus difficiles à gérer pour les grands groupes ?
De grands pouvoirs impliquent de grandes responsabilités. « Être un grand groupe est toujours un facteur aggravant, susceptible de provoquer plus de ressentiment chez une partie du public. Il génère de la méfiance et la suspicion qu’il est motivé par son intérêt avant tout. Ce sont les multinationales, l’administration, et l’industrie du luxe, ils sont censés incarner l’excellence et sont assujettis à un devoir de vertu », analyse Sophie Licari. Des groupes aussi gros produisent en grande quantité, dans un secteur où le risque 0 n’existe pas. En témoignent les cinq rappels de produits recensés depuis le début d’année par la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes). « Les problématiques de qualité et de sécurité sur des produits alimentaires, il y en a en permanence. En revanche, certaines passent sous les radars quand d’autres font la une des journaux, c’est la détonique des crises. Ce qui crée cette résonance, c’est la judiciarisation. On assiste à la création d’une story, avec un volet médiatique et judiciaire », analyse Jean-Christophe Alquier.
Une confiance rompue ?
Pour pallier l'absence de mesures, l’ONG Foodwatch a lancé une pétition pour plus de contrôle, de transparence et de sanctions à l’égard des entreprises dans l’agroalimentaire, déjà signée par 46 676 personnes. « Face au risque courant de contamination, les marques ont manqué de proactivité. Le public n’a pas trouvé de réassurance ce qui a exacerbé sa colère. Aujourd’hui, il y a des plaintes des parents, des pétitions, des appels à boycott, des fermetures d’usines… cette crise est semblable à une trahison dans un couple », explique Florian Silnicki. D'autant que ces scandales ont touché des centaines enfants, et entraîné deux décès. « Dans le cas de Buitoni, ce sont des produits consommés, le plus souvent, par des enfants : il s’agit de personnes vulnérables, a fortiori pendant une période de pandémie », soulève Jean-Christophe Alquier. Le risque étant qu'à terme, les consommateurs fuient toutes leurs gammes de produits.
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Un avant / après crise ?
« Dans l’agroalimentaire, il y aura un avant et un après. Si je paie une marque, elle s’engage à ce que les critères de qualité soient infaillibles », lance Jean-Christophe Alquier. Dans certains cas, les marques se relèvent difficilement d’une telle presse. À l’instar des tartelettes contenant des traces de matières fécales qui retirées de la vente par le géant Ikea en 2012. À la suite de l’affaire des lasagnes à la viande de cheval, les plats cuisinés surgelés à base de bœuf ont connu une perte sèche de 2 millions d’euros en GMS, analysait Nielsen en 2013. Il en sera de même pour Buitoni selon Sophie Licari : « Au-delà des Fraîch’up, la crise risque de s’étendre à d’autres marques du groupe, et sans doute au secteur entier des pizzas surgelées ». À ne pas oublier que les marques vendent des produits en réponse à des besoins, des produits dont la concurrence est parfois inexistante. « La crise a déjà eu un impact sur la confiance des consommateurs au regard des rayons remplis de Kinder pendant Pâques. Si le consommateur se sent en danger ou trompé il préfère ne plus réaliser cet acte d’achat. C’est là tout l’enjeu d’une bonne gestion de crise : pouvoir relancer sa marque après », conclut le Florian Silnicki de La French Com.