Sopalin ou frigidaire, scotch ou post-it… Les marques devenues des noms communs ne sont plus tout à fait des marques comme les autres. Une dimension que leurs équipes communication doivent prendre en compte pour leur redonner la force perdue en passant dans le langage courant. Étude d’un cas emblématique, celui de Kleenex, qui fête ses cent ans en 2024.

Ne sortez pas les mouchoirs, la nouvelle est plutôt réjouissante : Kleenex fête ses 100 ans en 2024. Depuis le mois de septembre, la marque du groupe américain Kimberly-Clark, devenue comme les sopalin, scotch et autres frigidaire un nom commun – et entrée dans Le Petit Robert en 1965 – veut se faire remarquer en magasin à travers des promotions, de la PLV (publicité sur le lieu de vente) et un jeu-concours à base de « tickets d’or » disséminés dans ses produits, afin de faire gagner des cadeaux. Finalement assez peu ambitieux comme dispositif pour un centenaire ? Kleenex n’a pas souhaité non plus à cette occasion déployer de campagne corporate, alors qu’elle a dû – mauvais timing pour elle – mettre en place de la communication de crise, lorsque le 8 octobre des salariés de son usine de production, près de Rouen, faisaient grève. Un mouvement notamment couvert par Paris Normandie et France 3 Normandie. « Certains de nos employés ont exprimé leur préoccupation suite à un article des Echos évoquant une possible vente [d’une partie de l’activité] en dehors des USA. Ce sont des propos spéculatifs, développe Delphine Husson, directrice générale France du groupe Kimberly-Clark, qui commercialise aussi, par ailleurs, la marque de couches Huggies. Ce n’est pas la première fois que cela arrive, surtout quand on annonce des changements stratégiques, comme c’est notre cas, avec une réorganisation mondiale entrée en vigueur le 1er octobre. Il y a eu une consultation en France qui a touché uniquement le siège, l’usine n’était pas dans la consultation. » Cette dernière, ouverte en 1966, approvisionne pas moins de 24 pays en Europe.

Quoi qu’il en soit, voilà donc cent ans que la marque – dont le nom vient du mot « clean » (nettoyer en anglais) et du « ex » de Kotex, la marque de protections féminines de Kimberly-Clark à la genèse de Kleenex – aide à soigner les rhumes, à sécher les larmes, ou encore à se démaquiller. Initialement lancée sur ce dernier créneau, elle s’est ensuite diversifiée, tant en termes de produits (mouchoirs ultra-doux ; au calendula [une plante aux propriétés diverses] pour éviter les rougeurs et les irritations du nez ; anti-allergies…) que de formats (différentes tailles de boîtes et étuis). En 2020, elle se lançait dans le papier-toilette, avant deux ans plus tard de s’inviter sur le créneau des essuie-tout. « En 2024-2025, nous n’avons pas prévu de nouvelles diversifications. Nous nous concentrons sur ce que nous savons bien faire. Pour autant, l’innovation reste au cœur de nos stratégies », défend Delphine Husson. Parmi les dernières sorties en date figure, par exemple, une « boîte carrée avec des mouchoirs XL ». Par ailleurs, le design des produits a été entièrement revu l’année dernière. « Quand nous définissons nos stratégies, nous cherchons à faire grossir la catégorie. La pénétration des mouchoirs s’élève à ‘‘seulement’’ 80% et a tendance à stagner », complète la DG France. Cela signifie qu’il reste des gens qui n’utilisent pas de mouchoirs en papier, leur préférant des mouchoirs en tissu ou d’autres supports. « Nous souhaitons recruter et fidéliser et cela passe par la communication, la promotion, l’innovation en termes de produits ou de formats. C’est comme cela que l’on a gagné des parts de marché », note Delphine Husson.

Aujourd’hui, la France est un pays « activateur » de la stratégie de communication globale, portée depuis 2022 par Omnicom Media Group (pour Kimberly-Clark). De façon générale, « nous activons tous les ans, de manière plus ou moins puissante, avec certaines années plus limitées et tactiques », poursuit la marque. Kleenex s’appuie sur deux temps forts de communication, la rentrée des classes et la période hivernale, dans la foulée ou à partir du mois de janvier. En matière de messages, « Kleenex a cherché ces dernières années à mettre en avant une dimension plus émotionnelle. Larmes, moments du quotidien, échange de mouchoirs quand une personne se met à pleurer… Kleenex devient un lien d’émotion. Cela a été une façon de redonner de la valeur à la marque », observe Loïk Lherbier, président fondateur du cabinet de conseil en stratégie de marque Yuma.

Une popularité à double tranchant

Désormais passée dans le langage courant, Kleenex a même intégré l’héritage culturel, comme en témoigne la chanson de Françoise Hardy, « Comment te dire adieu », qui la cite. « Nous sommes ravis d’avoir cette marque iconique devenue générique, déclare Delphine Husson. Kleenex ne s’est jamais portée aussi bien en France et nous surveillons aussi ce qui se passe. On n’a jamais eu de problème avec cette marque. » Pour autant, la tâche n’est pas mince. Certes, la notoriété ou la présence à l’esprit, pour les marques devenues des noms communs, est assurée. « Mais c’est à double tranchant car cela peut faire perdre aux concernées leur singularité, comme pour bic, escalator, digicode, pédalo, scotch, post-it… », tempère Loïk Lherbier. Pour Kleenex, s’ajoute une difficulté : « Elle est rentrée dans le langage commun pour traduire ce qui est jetable », remarque Fabrice Bory, cofondateur et directeur d’Eliette, l’agence de communication et stratégie de marque du groupe Sud Ouest.

L’enjeu, pour elle, est de se réapproprier son nom. « Il y a un sujet de différenciation pour les marques génériques, par exemple par rapport aux marques de distributeur, souligne Isabelle Dousset, responsable du planning stratégique et des études d’Eliette. La marque peut alors bénéficier d’une notoriété forte mais aussi être plus facilement associée aux avis négatifs sur la catégorie. D’où l’importance de communiquer sur l’innovation car c’est ce qui rend le produit unique. » C’est d’autant plus vrai si la marque veut rester attractive auprès des jeunes générations. « Il est crucial de recréer du lien avec le consommateur. C’est pratiquement un cercle : en devenant un nom générique, on se place au pic de sa notoriété ; si la marque veut continuer à évoluer, elle doit se repositionner en tant que tel. La créativité doit être redoublée. Une marque qui est rentrée dans le générique va aussi devoir s’humaniser », préconise Fabrice Bory.

Chiffres clés

190 Nombre de collaborateurs de Kleenex en France, dont 150 à l’usine de production et 40 au siège, sur 848 en Europe (France, Royaume-Uni, Italie).

82 millions d’euros Chiffre d’affaires sorties de caisse en 2023 (France). Les États-Unis sont le premier marché de la marque.

400 000 Nombre de boîtes produites chaque jour dans l’usine normande, à destination de 24 pays européens.  

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