Le club d’e-sport Team Vitality, champion français et européen, pionnier dans le secteur, sort une campagne autour de son nouveau maillot. Merchandising, sponsoring… Voici comment la structure construit son modèle économique.
Il est peut-être moins que connu que Léon, Florent, Félix et les autres... Mais Alexis « Zen » Bernier est une star dans son domaine, l’e-sport – surtout depuis qu’il est devenu champion du monde du jeu Rocket League en 2023, à même pas 17 ans. Depuis le 6 septembre, il est aussi, avec un autre joueur, Carzzy, et une ambassadrice, Shynouh, égérie d’une campagne digitale de son club, Team Vitality, pionnier du secteur en France, champion en Europe et à l’international. Objectif : faire la promotion d’un nouveau maillot. « Il y a trois sorties de maillot par an [un pro, un lié à un événement, un « alternatif » au premier] et chaque sortie s’accompagne d’un film, pose Amélie Canet, directrice de la diversification de la marque et des revenus de Team Vitality. Particulièrement cette année, on veut le positionner comme un maillot lifestyle. » La campagne, réalisée en interne, montre le vêtement (nouveau design, coupe oversized, dégradé de gris et blanc…) porté dans des situations courantes, comme une séance de musculation ou une sortie au café entre amis.
« Team Vitality est une locomotive de l’e-sport, resitue Pierre Acuña, directeur gaming et e-sports de l’agence Havas Play. Elle a une image de team premium, très bien construite et qui attire beaucoup de marques. Elle a le mérite d’avoir onze ans d’existence. Elle a traversé pas mal de périodes, a su rebondir, tracer la voie. » D’où cette initiative. « Il y a bientôt deux ans, on a lancé une plateforme de fan engagement, V.Hive [une application qui permet de récompenser les fans pour leur soutien au club sur les réseaux sociaux ou lors d’événements, de proposer du merchandising…]. On voulait inscrire le maillot dans cette même stratégie », poursuit Amélie Canet. Autrement dit, en faire un outil pour animer la communauté de fans tout en soignant son image de marque. Les utilisateurs de l’application pouvaient d'ailleurs se procurer le maillot en avant-première. En parallèle, Team Vitality vise, par sa communication, d’autres publics : les fans d’e-sport ou même de jeu vidéo sont ciblés par des campagnes de paid media tandis qu’une stratégie RP s’attache, entre autres, à valoriser les plus importantes campagnes et à vendre la « success story » Team Vitality dans les médias. Reste que « le maillot et le merchandising fan sont au cœur de la stratégie », résume Amélie Canet.
Réduire la dépendance aux marques
Si le merchandising est aussi clé, c’est que le modèle économique des acteurs de l’e-sport en dépend. En effet, contrairement aux acteurs du sport traditionnel, ils ne peuvent pas compter sur la billetterie. Tout se suit généralement à distance via des plateformes comme Twitch ou YouTube (gratuites). Toutefois, une autre équipe, la Karmine Corp, est récemment devenue club résident d’un complexe sportif et culturel de 3000 places à Evry-Courcouronnes près de Paris, les Arènes : une exception en France. Team Vitality a bien un espace (400 mètres carrés) à Paris, boulevard de Sébastopol, mais qui sert plutôt à héberger ses bureaux ainsi qu’un cybercafé, un café et une boutique. Il dispose, en parallèle, d’un centre de performance incubé au Stade de France. Les clubs ne peuvent pas non plus compter sur les droits médias, qui vont plutôt aux éditeurs de jeux et aux organisateurs des tournois. « De plus, le contenu produit lors des compétitions e-sportives est globalement inadapté à la diffusion télévisuelle puisque les compétitions s’étendent sur plusieurs jours et que les affrontements sont disputés sur des plages horaires relativement amples », souligne un Observatoire économique de l’e-sport remis à Bercy en mars, auquel ont participé le ministère des Sports, le Sell (syndicat du jeu vidéo), Paris&Co (agence d’innovation) et le Centre de droit et d’économie du sport.
À l’inverse, les acteurs en général peuvent compter sur des revenus qui n’existent pas dans le sport, liés aux achats digitaux à l’intérieur des jeux vidéo (habillages particuliers, stickers...). Par ailleurs, l’Observatoire note l’essor de l’influence, « une orientation de la filière, déjà observable », en particulier chez des clubs dont les fondateurs disposent préalablement d’une notoriété ainsi que d’une base de fans qu’ils peuvent valoriser auprès de futurs partenaires, comme c'est le cas pour Squeezie, Gotaga et Brawks, créateurs de Gentle Mates en 2023. C’est vrai aussi dans l’événementiel, « dans la mesure où de plus en plus d’influenceurs sont associés à l’organisation d’événements dans le but de capter un public plus large », note le rapport. « La quête d’un modèle économique viable est devenue une priorité pour l’ensemble des maillons de la chaîne de valeur », appuie le document. En attendant, « pour donner un ordre de grandeur, il y a 80 % de dépendance au sponsoring », estime Pierre Acuña.
Treize partenariats
Voilà pourquoi la collaboration avec les marques est cruciale. Team Vitality, déjà reconnu au niveau européen et qui entend désormais développer son chiffre d’affaires à l’international, dans le sillage d’un mouvement entamé en 2024, affiche treize partenaires français et internationaux, « endémiques » (issus de l’univers esport) ou non. Parmi eux figurent Aldi, Kia ou le Crédit Agricole. La campagne met en valeur l’équipementier Hummel et Tezos, un acteur de la blockchain, dont les logos figurent sur le maillot. « Les marques viennent chercher l’e-sport et Vitality car on est dans le top 3 des équipes européennes », pointe Amélie Canet, qui met aussi en avant son « approche partenariale » et son statut « d’agence intégrée », gérant des sujets de créa, de contenus ou de data (sur ses fans ou sur l’e-sport) ainsi que ses valeurs (innovation, diversité, performance…). Le tout, dans un contexte de forte croissance de la discipline. D’après l’Observatoire, le poids économique de l’e-sport en France a quasiment triplé entre 2019 et 2022, passant de 50 à 141 millions d’euros (après redressement), et affichant « une augmentation annuelle moyenne de 55% environ ». Au-delà du sponsoring, la collaboration avec les marques prend d’autres formes, comme des événements tels que la Ligue Corpo, une compétition d’e-sport dédiée aux entreprises autour du jeu League of Legends, lancée avec l’éditeur Riot Games.
Chiffres clés
16. Nombre d'équipes (dont deux féminines).
58. Nombre d'athlètes.
14. Nombre de jeux (League of Legends, CS2, Valorant, FC24, Rocket League…).
12 millions. Nombre de fans sur les réseaux sociaux.
5. Nombre de villes pour ses équipes à l’international : Paris (France), Berlin (Allemagne), Mumbai (Inde), Séoul (Corée du Sud), Jakarta (Indonésie).