Les Jeux de Paris 2024 s’apprêtent à démarrer en France, juste après une séquence où l’extrême droite a failli arriver au pouvoir et où les élections ont concentré l’intérêt des médias, au détriment de l’événement. Entre promesses de médailles et communion générale autour du sport, seront-ils finalement la vitrine escomptée pour le pays ?

En ce début juillet, on s’attendait à une montée en puissance inexorable. Mais la flamme olympique a vacillé sous les feux de l’actualité politique. Le sprint des législatives a occulté les Jeux olympiques de Paris, dans la sidération qui a suivi la dissolution surprise décidée par le président de la République, et la montée en puissance du Rassemblement national qu’elle a révélée plus brutalement encore qu’à l’issue des élections européennes. Dans l’entre-deux-tours, on pouvait légitimement craindre pour la bonne tenue des JO 2024, entre spectre d’une majorité absolue pour le RN, d’un changement de gouvernement express afférent, et même du surgissement d’émeutes - risque brandi par le président lui-même, évoquant une « guerre civile ».

Le 9 juillet, alors que Stratégies boucle cet article, après les résultats du second tour des législatives, ces menaces semblent s’être estompées. On peut à nouveau se concentrer sur les JO, pensées comme une vitrine de Paris et de la France à l’international. « Rapprocher des imaginaires mondiaux aussi puissants que "JO" et "Paris" mobilise, pour emprunter les mots de Lacan, du symbolique qui va être mis à l’épreuve du réel », analyse Jean-Pierre Beaudoin, ex-président d’I&E Consulting, et consultant.

- Peur sur les Jeux

Les Jeux sont-ils sauvés ? L’enthousiasme est nuancé du côté du cabinet Baltasar, fondé par Alexis Abeille et Geoffroy Daignes. « Deux études réalisées en 2021 et 2023 par l’Ifop notent une accélération de l’inquiétude des Français à propos de Paris 2024. La cote d’alerte a été atteinte, et la séquence politique depuis début juin, aura empêché le gouvernement de communiquer pour rassurer les Français », note Alexis Abeille. La dégradation de la perception des Jeux notamment chez les Franciliens, n’a fait que se dégrader jusqu’à fin mai 2024, et le contexte n’aura pas aidé à rebooster le moral. La pression est d’autant plus forte sur l’événement, qui sera un crash test du pacte social. « L’autre point marquant, c’est que les résultats des élections montrent une division des Français, qui se retrouve dans la relation aux JO, que ce soit de l’inquiétude ou de la frustration », analyse-t-il. Plus grossièrement, les électeurs LR et RN sont plutôt hostiles, les électeurs de gauche plutôt indifférents, et les centristes plutôt favorables. « Le gouvernement n’aura finalement réussi à embarquer que ceux de son propre camp », conclut-il. Et Geoffroy Daignes de conclure qu’au-delà de l’impact de la séquence politique sur les JO, ce sont bel et bien les JO qui ont un impact sur les décisions politiques. « À commencer par le rejet de la démission du Premier ministre Gabriel Attal, qui permet de garder un gouvernement d'exercice et non d’affaires courantes. Ce point est important pour le volet sécuritaire, puisque seul un gouvernement d'exercice peut déclencher l’État d’urgence », détaille-t-il. Au regard de la situation politique et de l’instabilité de l’assemblée, avoir un nouveau gouvernement confirmé par celle-ci n’est pas assuré du tout. Les députés pourraient voter une motion de censure d’ici au 26 juillet « mais ce ne serait pas dans l’esprit de Pierre de Courbertin », ironise-t-il…

On l’a dit, la dissolution-surprise n’a pas été du meilleur effet sur l’avant-JO. Y compris pour les olympiades d’après… « Les décisions industrielles ont été suspendues avant le résultat des législatives. La décision de l’attribution des JO d’hiver en 2030, où la France est la seule candidate, a été reportée du 18 juin au 30 juillet, souligne Arnaud Dupui-Castérès, président-fondateur de Vae Solis. Les conséquences sur la réputation sont déjà là. Des fonds souverains, de gros investisseurs sont en veille. La dissolution n’a pas été comprise et ne donne pas une super image car une majorité incertaine à la chambre et un gouvernement introuvable ne constituent pas de bonnes perspectives. »

Malgré les inquiétudes, pour l’heure, « tout est bien qui finit bien, estime Stéphane Fouks, vice-président d’Havas. Le RN n’a pas gagné, et on est passé à autre chose. La séquence politique n’a produit ni d’émeute, ni de drame. La presse étrangère ne rentrera pas tant dans les détails. On aura le sentiment d’une France confrontée à une vague de populisme qui aurait pu gagner, mais à laquelle le pays a su dire "non" ». Selon Éric Giuily, président de Clai, on peut s’autoriser à souffler : « Le Premier ministre reste à son poste le temps nécessaire à la stabilité politique du pays. Un gouvernement de plein exercice est maintenu. »

- Encore des risques ?

Si la situation politique ne devrait pas entraîner d’émeutes, les risques sécuritaires n’ont pas disparu, loin s’en faut - notamment ceux liés aux attentats. « Les principaux risques se situent sur les questions de sécurité, notamment pendant la cérémonie d’ouverture des JO… On a choisi un type de cérémonie à plus hauts risques que d’autres… Il faut être vigilant, mais pas inquiet », estime Éric Giuily. « Rien ne sert de trop communiquer sur les peurs », estime pour sa part Frédéric Bedin, président d’Hopscotch. Anne-Claire Legendre, alors porte-parole du quai d’Orsay, se disait, elle aussi, sereine mais prudente le 30 novembre dans Stratégies : « Les JO seront un moment de très forte opportunité pour rayonner à l’échelle de la planète. Évidemment, cette exposition va avec un risque accru que des acteurs essayent de manipuler ou de créer de la tension autour l’événement ».

- Un rayonnement multiple

Son déroulement est le secret le mieux gardé de ces derniers mois - pour ne pas dire plus : la cérémonie d’ouverture des JO, le 26 juillet, a vocation à éblouir le monde (1 milliard de téléspectateurs attendus). Autrement dit, se planter n’est pas une option. Autrement dit, la pression est de mise. Voilà toutefois une occasion unique pour les acteurs de l’événementiel français, en particulier Paname 24 (Auditoire, Havas Events, Ubi Bene, Obo et Double 2) qui en assure la production exécutive, de montrer ce dont ils sont capables. « À court terme, il s’agit de faire parler un maximum de notre savoir-faire, de remettre les agences françaises sur la carte globale, à l’heure où le HQ [headquarter, ou siège social] a repris beaucoup le lead (les décisions concernant Gucci se prennent en Italie, BMW à Munich…), replace Antoine de Tavernost, directeur général d’Auditoire Paris. À long terme, on devient ambassadeur du french savoir-faire sur les grands événements internationaux ». C’est valable pour la cérémonie d’ouverture mais pas seulement, d’ailleurs. Par exemple, l’arrivée de la flamme à Marseille le 8 mai a aussi été scrutée. « Il fallait réussir Marseille, dans le sport le top départ est important, relevait Tony Estanguet, président de Paris 2024, lors d’une conférence de presse organisée le 4 juillet sur une série documentaire à venir autour des Jeux (lire P. 20). C’est une belle vitrine et un aperçu de la magie qui nous attend cet été ».

Quoi qu’il en soit, Paris se voit déjà comme un modèle pour les Jeux de demain, où le sport se teinte d’entertainment. « Si tout se passe bien, ces JO seront le nouveau marqueur de ces nouveaux grands événements dans les grandes villes du monde. On porte des Jeux RSE, intégrés dans la ville, avec l’équitation à Versailles, l’escrime au Grand Palais, le tir à l’arc aux Invalides…, relate Antoine de Tavernost. La cérémonie d’ouverture sera un marqueur de ce changement, pour la première fois en mode parade, sur la Seine, au milieu des monuments parisiens, avec une nouvelle manière télévisuelle de capter les images », développe-t-il. Et de relever que Los Angeles, pour les Jeux 2028, aurait aussi un patrimoine à valoriser (Venice Beach, les hauteurs de Hollywood…), « à l’ère où la médiatisation de ce qui se passe est aussi importante que ce qui se passe ». Une ambition qui doit toutefois se confronter à la réalité. Par exemple, Paris a semblé un chantier permanent ces derniers mois pour les résidents, parfois perturbés aussi dans leurs déplacements quotidiens. La réussite du 26 juillet dira si le jeu en valait la chandelle.

- Des terrains accueillants

Accueillir les Jeux chez soi : on ne fait pas mieux comme campagne de promotion touristique. « Les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 représenteront des opportunités uniques pour faire rayonner la destination et renforcer son attractivité », relève sur son site Atout France, agence de développement touristique de la France. Et ce, pas seulement auprès d’un public international. L’Office de Tourisme et des Congrès de Paris (« Paris, je t’aime ») attend sur la période des JO 11,3 millions de visiteurs, dont 86,7 % de Français (4 millions, dont 90 % de Français pendant les paralympiques). « Nous aurons un public touristique différent qu'habituellement en été, composé surtout de Franciliens ou de nationaux », traduisait Corinne Menegaux, sa directrice générale, dans une interview accordée à Stratégies en juin. Un public qu’il faudra apprendre à connaître et à contenter en termes d’accueil et d’offre. À l’échelle nationale, l’idée est notamment de promouvoir à la fois des valeurs, comme autour du tourisme durable ou d’autres sujets (innovation, excellence, inclusion…) et la qualité des infrastructures et de « l’hospitalité à la française ». À condition toutefois de se montrer à la hauteur de l’enjeu. Par exemple, faire que la solidité de l’offre d’hébergement et de transport soit au rendez-vous. Les acteurs s’y attellent (voir notre article sur la RATP P. 16). Le centre des journalistes « non accrédités », basé au Carreau du temple, qui accueille des médias censés parler des JO sans parler des épreuves, s’attend à accueillir 5 000 personnes. « Ils sont invités pour parler de la France, de Paris, de la gastronomie ou de la culture », détaille Frédéric Bedin.

- Plus de croissance

Les récents débats électoraux sur les conditions de vie des Français ne devraient pas enflammer les débats sur les dépenses publiques liées aux JO, selon Jean-Pierre Beaudoin : « Pour ce qui est de la France et de Paris comme économie, ce sera probablement, comme pour les Jeux olympiques précédents, un sujet de quelques polémiques par leur coût, de quelques satisfactions du fait de leurs recettes, mais probablement rien de très durable par le statut même de Paris et de l’économie française sur les marchés ou dans les esprits. »

Dans une étude dévoilée en mai, le CDES (Centre de droit et d’économie du sport) estimait à 8,9 milliards d’euros l’impact économique des Jeux olympiques et paralympiques [JOP] sur la période 2018-2034, dans un scénario intermédiaire - non pas la rentabilité de l’événement mais l’activité non générée sans les Jeux.

Au-delà des retombées concrètes, il s’agit de « vendre » la France auprès des acteurs économiques, surtout internationaux. Business France, structure d’accompagnement des entreprises françaises à l’international, entend profiter des Jeux pour faire se rencontrer les entreprises françaises et étrangères et aider les acteurs tricolores à se positionner sur les futurs grands événements mondiaux. En ligne de mire : Los Angeles 2028. « Il faut profiter des événements sportifs pour faire du networking », explique Marie-Cécile Tardieu, directrice générale déléguée de Business France, qui veut ainsi « promouvoir une image de la France tournée vers l’innovation, les clusters… au-delà du folklore ou du romantisme que les gens connaissent », explique-t-elle. « On est là pour s’assurer qu’une vision complète de ce qu’est la France sera présente pendant les JO », insiste-t-elle. D’autant que le sport touche à tous les domaines : infrastructures, santé, entertainment, IT, etc. Cela se traduira par une tournée baptisée « La France Terre de champions », à travers laquelle des entreprises tricolores sélectionnées viendront apporter du contenu ou participer aux événements des ambassades étrangères recensées par l’agence. 39 séquences sont prévues durant les Jeux olympiques et paralympiques, permettant des échanges avec une vingtaine de pays (Danemark, États-Unis, Serbie…).

- Une image pour l’Histoire

« Si les JO se passent bien, l’effet sera bénéfique car ils sont faits pour l’image, avec la cérémonie d’ouverture et les lieux mobilisés pour les épreuves [pont Alexandre III, château de Versailles, place de la Concorde, Grand Palais…] parfois au détriment du confort des Parisiens », estime Arnaud Dupui-Castérès. Selon Stéphane Fouks, l’image sera au cœur de la réussite. « Ces Jeux, organisés dans la ville, marqueront un avant et après. C’est un vrai retour à l’esprit des origines, et c’était un défi insensé dont on ne mesure pas encore l’ampleur. Les images télévisées seront incroyables. Ce sera l’étape finale du Tour de France, en plein cœur de Paris, puissance dix ! », s’enthousiasme-t-il. Et l’engouement de la population est supérieur à ce dont il s’attendait. « En témoigne, sur le terrain, le succès du parcours de la flamme en France », estime-t-il. Même son de cloche du côté de Frédéric Bedin, pour qui ces JOP vont tourner la page de la séquence politique avec brio. « La politique sera vite mise de côté. Ce sera un grand moment de fête et les Jeux les plus géniaux qui n’auront jamais existé. Le Burning Man à côté, sera un camp scout !, ironise-t-il. Les Jeux permettront de rassembler autour de l’émotion, sans avoir la division politique. Ce sera justement ce qui unit la population. »

Éric Giuily aussi se montre très positif. « Je suis persuadé que le jour où les épreuves vont commencer, elles vont générer de la passion. Le Tour de France sera terminé, l’Euro de football, fini… On entend souvent dire que les gens ne s’intéressent pas tellement aux JO mais dès les premières médailles, tout change ! »