Organisme de recherche reconnu par la communauté scientifique et les entreprises mais pas toujours bien identifié au-delà de ces sphères, le CEA a entamé un travail autour de sa communication et de sa marque, qui a commencé à porter ses fruits.

Las Vegas, janvier 2024. Il n’y a pas que les start-up qui sont récompensées au CES, grand-messe mondiale de l’innovation. Le CEA (commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives), l’un des plus gros organismes de recherche français avec ses 21 000 personnes et même premier en termes de dépôts de brevets, l’a aussi été, pour une innovation en santé codéveloppée par ses chercheurs. Celle-ci a permis à une personne paraplégique de recouvrer la marche en contrôlant ses jambes par la pensée grâce à un implant cérébral. Un exploit.  

Et le signe que, malgré son nom et le « A » de son sigle, le CEA ne traite pas, loin de là, « que » de nucléaire. Créé en 1945 (il fêtera ses 80 ans l’année prochaine) pour doter la France de la dissuasion nucléaire, il a depuis largement élargi ses domaines d’expertise, dans la santé mais aussi la transition énergétique, le numérique, la sécurité et la cybersécurité (citons, comme application, les outils de détection de poudre utilisés dans les aéroports) ou la microélectronique (les puces dans les téléphones).

Placé sous la tutelle de quatre ministères (recherche, énergie, défense, budget), il assure une continuité entre la recherche fondamentale et le produit fini. « Il est mal perçu [par le grand public, qui méconnaît plutôt l’ensemble de ses missions] mais bien reconnu par ses pairs (industriels, organismes de recherche européens…) », résume Joseph Diaz, directeur associé de l’agence conseil en communication corporate Parties Prenantes, après avoir souligné « sa double culture ingénieurs et chercheurs » et « son maillage territorial fort », avec neuf centres en France. « La priorité pour un organisme de recherche, c’est de se faire connaître de la communauté scientifique et des entreprises. Que le CEA œuvre à produire des innovations utiles à la société, pour elles deux, c’est un positionnement clair », observe Alexia Youknovsky, dirigeante fondatrice d’Agent Majeur, agence de communication scientifique. « Le CEA a une image de stabilité (il existe depuis près de 80 ans) et de fiabilité (on lui confie des projets stratégiques sur le nucléaire civil et militaire) », énonce-t-elle.

Travailler la marque

C’est dans ce contexte que Marie-Ange Folacci, en 2018, en prenait les rênes de la communication. Venue de la direction de la com de l’Agence nationale de la recherche puis de Météo France, cette experte a depuis eu fort à faire, en s’appuyant sur une équipe de 35 personnes aujourd’hui et un budget annuel autour du million d’euros – une enveloppe infime au regard des 5,6 milliards d’euros de budget annuel du CEA. Ses enjeux, ces dernières années, ont été de repositionner l’identité de l’organisme et de mieux faire connaître celui que le fait de travailler sur des sujets secrets, car relatifs à la défense, a pu tenir dans une notoriété plus faible que d’autres instituts de recherche comme le CNRS. « Il y avait deux points à ancrer : renforcer la marque, et se rapprocher de la société en expliquant le rôle sociétal du CEA, ce qu’il est dans le quotidien des citoyens », pose-t-elle, tout en identifiant une diversité de cibles : État, industriels, citoyens, élus, leaders d’opinion.

Sur l’aspect marque, la dircom hérite d’un état de fait où des sous-marques (CEA « quelque chose ») avaient été créées. Ainsi, tout est rationalisé, y compris sur le digital : suppression de sous-comptes brouillant la clarté des messages, reformulations d’intitulés… Au-delà de ce « mapping digital », l’accent est mis, avec l’appui de l’agence Bearideas, sur l’élaboration d’une nouvelle architecture de marque – ne subsistent qu’une marque mère et quelques marques filles – ainsi que sur le renouvellement de l’identité visuelle et de la charte graphique. « Cela a été apprivoisé par les équipes, qui se présentent comme CEA alors qu’avant elles pouvaient avoir tendance à souligner leur appartenance à telle unité de tel centre », constate la directrice de la communication.  

Une première étape ? « Dans cet effort d’unification graphique, de foisonnement de contenus, il y a un enjeu d’éditorialisation pour rendre compte de la façon dont le CEA pense le futur de l’énergie », relève Joseph Diaz. « Le récit de sa mission manque et ne transparaît pas dans les contenus. On voit ce qu’il fait mais cela ne dit pas son rôle par exemple dans la transition énergétique », estime-t-il.

Des chercheurs médiatisés

Sur le second volet, un rapprochement avec la société implique une certaine ouverture. « Le fonctionnement de la recherche a beaucoup évolué. Il y a 15-20 ans, c’était un univers replié sur soi. Aujourd’hui, un organisme de recherche travaille avec les autres », resitue Alexia Youknovsky. Cette ouverture se traduit aussi en communication. En témoigne le lancement en juin dernier d’une revue trimestrielle à destination des acteurs de son écosystème. Cette ouverture est aussi passée, l’année dernière, par un renforcement des RP. Les journalistes ont été conviés plus nombreux qu’auparavant sur ses sites. À noter aussi, des actions à l’égard du grand public comme la participation à des conférences dans différents lieux (tels que le 104 à Paris) ou festivals (dont les Utopiales à Nantes, sur la science-fiction). Le tout, pour se poser en éclaireur du débat public.

Pour rayonner, le CEA peut également compter sur certaines figures médiatiques issues de ses rangs, comme la climatologue Valérie Masson-Delmotte ou le physicien Étienne Klein. « En communication scientifique, nous voulons aussi mettre en avant les chercheurs », continue Alexia Youknovsky. Un phénomène qu’elle a vu grandir durant le covid et la période post-épidémie. « C’est important pour développer la culture scientifique des Français et lutter contre les fake news », insiste-t-elle. Incarner, oui, mais en poussant un cran plus loin. « Avoir un discours de construction de ce que je suis nécessite quelque chose de l’ordre du lien avec le public, dans une logique d’échange. La question est de savoir comment inclure les parties prenantes dans la construction du récit », analyse Joseph Diaz.

Autre enjeu : l’attractivité. Le CEA a recruté plus d’un millier de personnes en 2022. Avec TBWA, une campagne ad hoc avait été menée avant le covid. Plus récemment, une campagne d’affichage sur ses différents métiers a été déployée au dernier WNE (salon mondial du nucléaire civil), fin 2023. D’ici à 2025, 3 000 recrutements sont prévus.

Chiffres clés

21 000 Nombre de collaborateurs du CEA, dont 1700 doctorants et post-docs. 

5,6 milliards d’euros Budget annuel du CEA.

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