Le 3 septembre 2023, le président des Restos du Cœur lançait un appel à l’aide sans précédent face à l’augmentation massive de la précarité en France. Derrière les dons très médiatiques de grands groupes, la situation reste tendue.

« On pourrait fermer d’ici à trois ans. » Quelques mots pour une onde de choc, et une réalité amère que souhaitaient rappeler les Restos du Cœur. « Cette association, aimée des Français, a eu l’écoute nécessaire pour mettre en lumière une précarisation forte. Depuis 2021, le nombre de personnes qui sollicitent nos 900 associations membres a augmenté de 20 % à 40 % selon les territoires. Et l’Insee recense 500 000 personnes supplémentaires en situation de pauvreté, notamment des jeunes, des retraités ou des familles monoparentales », rappelle Nathalie Latour, directrice générale de la Fédération des acteurs de la solidarité.

Une aggravation qui se heurte au manque de moyens des associations elles-mêmes. « Avec l’inflation, elles ont perdu 10 % de leur budget. » Doit-on en conclure que la solidarité française est défaillante ? Elle est au contraire plus forte que jamais. « Elle s’est révélée au moment de la crise covid. Nous avons vu des milliers de nouveaux bénévoles arriver, des nouvelles entreprises nous solliciter, et de nouvelles formes de solidarité s’inventer », explique Christian Lampin, secrétaire national du Secours populaire. Le Baromètre du mécénat, établi par l’Admical, confirme bien que le montant des dons des entreprises a été multiplié par 2,3 en dix ans. En tête des causes soutenues, l’aide aux plus démunis, l’éducation ou la culture.

L’appel des Restos du Cœur ne pouvait donc rester sans suite. Des réponses ont été données de manière immédiate, avec un premier don très médiatique de 10 millions d’euros accordé par Bernard Arnault, patron de LVMH. Le secteur de la distribution s’est aussi rapidement mobilisé, avec Carrefour, le Groupement Les Mousquetaires, Système U ou Leclerc. Des marques comme TotalEnergies, Crédit Mutuel ou Panzani ont suivi de près.

« Le sujet de l’accessibilité à l’alimentation faisant partie de notre raison d’être, nous sommes partenaires d’associations comme les Restos du Cœur ou le Secours populaire depuis 10 ans. Après 200 tonnes de dons sur ce moment charnière, nous continuerons puisque nous sommes plus sollicités désormais », commente Audrey Luc, directrice communication et affaires publiques de Panzani. Avec d’autres, cette marque s’est assise autour de la table avec les associations et le ministère de l’Agriculture, pour évaluer et répondre aux besoins alimentaires urgents.

Mais l’élan collectif a-t-il suffi ? Malheureusement non. Les Restos du Cœur ont été contraints de restreindre les conditions d’accès et la quantité des dons. Le Secours populaire, lui, s’est refusé à cette fatalité. « Il est impossible de renoncer. Plus les gens sont dans la difficulté, plus la solidarité se développe, plus nous nous devons de l’organiser », martèle Christian Lampin. Le monde de l’entreprise peut-il faire encore plus ? Si la générosité est plus que jamais la bienvenue dans ce contexte de paupérisation, Stéphanie Delatour soulève le danger d’une privatisation de la précarité : « Avec 9,1 millions de personnes qui vivent en dessous du seuil de précarité, le problème majeur ne peut devenir l’affaire du privé et doit rester un sujet d’intérêt général. Le risque, c’est le désengagement de l’État. »

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