Du Paradox Museum à l’Iconic Selfie Studio, en passant par l’Atelier des lumières, Paris voit se développer une nouvelle génération de lieux de divertissement particulièrement propices aux photos et à leur partage sur les réseaux sociaux. Une version 3.0 du bouche-à-oreille, qui peut aussi trouver ses limites.
C’est l’un des phénomènes de l’année à Paris. Le Paradox Museum, qui a ouvert ses portes à deux pas de la place de l’Opéra en mai 2023, après Oslo, Stockholm, Miami, Barcelone et Chypre, a accueilli près de 150 000 visiteurs en six mois. Surtout, sur les réseaux sociaux, les photos et vidéos de ce lieu dédié aux illusions d’optique se multiplient. Les posts de trois comptes (@leparisfoodalex, @iamdawss et @sortiraparis.officiel) cumulent à eux seuls plus de 5,5 millions de vues sur Instagram et TikTok.
Parmi les photos les plus partagées, celle de ce canapé sur lequel votre corps paraît coupé en deux, ou cette façade d’immeuble, du balcon de laquelle vous semblez rattraper votre enfant suspendu dans le vide. Des campagnes d’affichage font régulièrement la promotion du Paradox Museum, mais ce sont bien les contenus postés par les visiteurs eux-mêmes, à commencer par les quelque 300 influenceurs qui sont déjà venus, qui portent cet engouement.
« Beaucoup de nos visiteurs nous découvrent sur les réseaux sociaux. Quand vous voyez dans votre fil les photos insolites du Paradox Museum publiées par trois ou quatre personnes que vous appréciez, ça vous donne envie de venir à votre tour. Le côté instagrammable est un élément majeur de l’expérience », explique Julien Teyssandier, directeur général du Paradox Museum Paris.
Avant lui, d’autres lieux taillés pour leur résonance sur les réseaux sociaux ont ouvert à travers le monde. Parmi les plus populaires, The Museum of selfies à Los Angeles, The Museum of Ice Cream à New York ou Colorama à Barcelone. « Beaucoup de ces musées, avec des concepts très marketing, ont, depuis, disparu. Aujourd’hui, on voit émerger de nouvelles versions de ce type de musées, qui donnent davantage de place à l’immersion », relève Antoine Roland, fondateur de l’agence Correspondances digitales, également en charge du volet innovation du salon Museum Connections.
C’est le cas de l’Atelier des lumières, qui a investi en 2018 l’ancienne fonderie Plichon, dans le XIe arrondissement de Paris. À travers 140 vidéoprojecteurs et un son spatialisé sur les 2 000 m2 du lieu, les visiteurs sont plongés dans l’univers artistique de grands peintres, comme Gustav Klimt, Vincent Van Gogh ou Paul Cézanne. Plus récemment, le lieu a diversifié sa programmation avec des photos de Jimmy Nelson, l’univers de Tintin ou Océans, une odyssée immersive dans les fonds marins. Suivra à partir du 8 février 2024 une plongée au cœur de l’Égypte ancienne, de Kheops à Ramsès II.
« Notre meilleur vecteur de communication, ce sont les visiteurs eux-mêmes, lorsqu’ils partagent sur les réseaux sociaux ce qu’ils ont vécu à l’Atelier des lumières, reconnaît Jacques de Tarragon, son directeur. C’est très complémentaire d’une campagne métro. » À lui seul, le hashtag #atelierdeslumieres sur Instagram totalise plus de 78 500 publications, pour une fréquentation annuelle qui tourne autour du million de visiteurs. « C’est quelque chose qu’on n’avait pas anticipé. Mais c’est vrai que notre rêve serait que les visiteurs utilisent un peu moins leur téléphone car ça peut perturber l’expérience », reconnaît Jacques de Tarragon.
Pour Louis Chahan, planneur stratégique senior chez BETC, l’émergence de lieux immersifs comme l’Atelier des lumières correspond à une étape. « Contrairement aux selfie museums, on n’est pas ici dans la mise en scène personnelle mais dans un lieu instagrammable qui sert de porte d’entrée vers la culture. » Même chose pour l’exposition Pop Air, organisée à la Grande Halle de la Villette au printemps 2022, en collaboration avec le Balloon Museum de Rome. Sur 5 000 m2, celle-ci présentait des œuvres gonflables très colorées, largement relayées sur Instagram et TikTok.
Selfie museums
Stade ultime de cette tendance à l’instagrammisation des lieux de culture au sens large, selon le planneur stratégique, les selfie museums, qui « parachèvent le narcissisme contemporain et créent un espace décomplexé pour le selfie, un lieu de suspension de jugement, libéré du regard extérieur ».
À Paris, près de la place de la République, l’agence événementielle Oconnection a ouvert le 21 octobre 2023, pour trois mois, les portes de l’Iconic Selfie Studio, qu’elle présente comme « le premier selfie museum dédié aux marques ». Moyennant un ticket d’entrée de 30 000 euros, quatorze marques partenaires se partagent les 500 m2 du lieu, chacune proposant une occasion de se prendre en photo : une piscine à balle pour Coca-Cola, un canapé plein d’ours en peluche pour Doudou et compagnie, une cuisine avec le fameux damier bleu du sol au plafond pour Lustucru…
« On est dans la même logique qu’une campagne réseaux sociaux. L’Iconic Selfie Studio est un événement où les marques jouent avec les gens. Elles ne sont pas dans un discours de marque. Elles proposent aux visiteurs de s’approprier leur univers en se prenant en photo, avant de le poster sur les réseaux sociaux », souligne Arnaud Baudry d’Asson, directeur et fondateur de l’agence Oconnection. Celle-ci revendique 15 000 visiteurs en un mois et demi, plus de 4 500 contenus diffusés sur Instagram et TikTok, pour un total de 12,5 millions d'impressions.
Beaucoup de ces expériences instagrammables sont éphémères, comme l’Iconic Selfie Studio ou l’exposition Pop Air. Pour le Paradox Museum, il lui faudrait 300 000 visiteurs par an pour s’installer dans la durée. « Le modèle économique de ce type de musée est fragile car il repose à 100 % sur la fréquentation quand les musées plus classiques reposent souvent en grande partie sur des fonds publics », contextualise Antoine Roland.
C’est pour cela que le Paradox Museum cherche à développer la privatisation du lieu pour les entreprises ainsi que la fréquentation en semaine des touristes étrangers qui connaissent déjà bien Paris. Pour les autres, le musée des illusions d’optique mise sur des changements tous les six mois et des nouveautés plus marquées tous les 18 mois pour faire revenir les gens. Et il compte bien sur ses visiteurs pour le faire savoir à leur communauté sur les réseaux sociaux.