De Deauville à Angoulême, nombre de villes ont dopé leur attractivité, voire bâti leur économie, sur des événements. Si les grandes métropoles disposent de moyens autrement plus importants que les petites communes, le champ des possibles reste ouvert en faisant valoir une stratégie originale.
Soutenir le développement du tissu industriel avec un festival de… rock ? Une stratégie assez évidente pour Jean-Paul Roland, directeur général des Eurockéennes de Belfort : « Il y a quelques années, quand General Electric voulait embaucher des ingénieurs sur son site belfortain, l’entreprise essayait de caler ce type d’opération pendant les Eurockéennes et la visite du festival faisait partie du parcours pour séduire les candidats. C’est encore le cas : je connais des personnes autour de moi qui ont choisi de venir travailler à Belfort à cause du festival. » Parmi les 135 000 visiteurs des Eurockéennes, beaucoup intéressent les 150 entreprises mécènes du festival qui comptent les transformer en futurs salariés. « Récemment, le syndicat des métiers du bâtiment a loué un stand pour sensibiliser les jeunes aux opportunités de son secteur », note Jean-Paul Roland.
Si augmenter la notoriété et l’attractivité reste l’objectif premier des collectivités organisant ou accueillant des événements, certaines ont réussi à franchir un palier supplémentaire en les transformant en moteur de leur économie. Grâce à son festival international de la Bande dessinée, qui fête cette année son 50e anniversaire, Angoulême a construit un véritable écosystème, explique Gérard Desaphy, délégué municipal et vice-président en charge de la coopération internationale et de la culture au Grand Angoulême : « Nous avons un campus de quinze écoles supérieures spécialisées, publiques ou privées, dans tout ce qui est lié à l’image. Elles proposent une quarantaine de formations qui accueillent entre 1 800 et 2 000 étudiants. Le Pôle Image Magelis réunit plus de 80 entreprises dédiées à l’image, dont 30 studios d’animation implantés sur le Grand Angoulême. Cela représente environ 2 000 emplois sur le territoire, dont 1 200 sur le cinéma d’animation. »
Plus de « saison morte » ?
Deauville a poussé cette dynamique encore plus avant. À côté du festival du Cinéma américain créé en 1975, la ville a en effet lancé d’autres événements culturels. Une stratégie qui a porté ses fruits selon le maire Philippe Augier : « Tous nos visiteurs, et notamment les résidents secondaires, savent qu’il se passe toujours quelque chose à Deauville. Et sachant cela, ils sont totalement fidélisés, ils viennent presque tous les week-ends en les allongeant, d’autant plus qu’ils veulent fuir la région parisienne. » Les 90 courses hippiques annuelles et les ventes de chevaux sont l’autre moteur de cette économie. « Pour la notoriété de Deauville, c’est le festival du Cinéma américain puissance dix, indique le maire. Cela attire une clientèle extraordinaire, au niveau de vie important, qui favorise le développement de toute l’économie. Deauville ne compte pour l’Insee que 3 500 habitants mais nous avons 400 commerces. »
Si cette stratégie a plus de chances d’aboutir avec des événements B2C, le B2B ne doit pas pour autant être négligé. Rennes s’illustre dans ce domaine en accueillant l’European Cyber Week. « C’est un événement “ultra B2B” puisqu’il faut être invité, voire habilité par le ministère de la Défense, pour y assister », explique Frédéric Bedin, directeur général de Hopscotch, l’agence organisatrice de cette manifestation. Il précise que ce succès est aussi le fruit d’une démarche lancée il y a une dizaine d’années pour attirer des centres de recherche et de formation sur cette activité de pointe : « Il y a là un alignement des planètes puisque les efforts des entreprises, des pouvoirs publics, du monde de la recherche académique et des collectivités locales ont très bien convergé. »
Le B2B suscite la convoitise
Ce succès n’est pas passé inaperçu. Lille a pour sa part réussi à obtenir l’accueil du Forum international de la cybersécurité (FIC) pour les six prochaines années. Une réussite qui tient selon Jacques Richir, conseiller à la Métropole européenne Lille, à une offre bien calibrée : « Nous allons “festivaliser” ce congrès en mettant la ville à l’heure du FIC pendant trois jours : il y aura des rencontres dans les universités, dans les locaux de la région, de la métropole et de la ville. La chambre de commerce et d’industrie va aussi être associée à cet événement, de même que le Comité Grand Lille, qui est un peu le club de tous les décideurs de la métropole lilloise. »
Si les grandes métropoles disposent de la puissance de communication, de la facilité d’accès et d’installations capables d’accueillir de grands événements, la recherche de lieux et d’ambiances toujours plus originaux pour laisser un souvenir positif et durable chez les festivaliers peut rebattre les cartes et donner leur chance à des localités encore peu connues. À elles de faire preuve d’audace.
Une crise sanitaire à 4 milliards d’euros
Derrière les moments festifs, les chiffres. Selon l’étude « Festivals annulés, estimer la perte économique et sociale », réalisée en 2020 pour France Festivals, la pandémie causée par le Covid-19 a privé l’économie d’une manne évaluée entre 2,3 milliards et 2,6 milliards d’euros. « Il s’agit de l’impact économique direct des festivals réalisés d’avril à septembre, précise Alexandra Bobes, directrice de France Festivals. Sur une année pleine, il est raisonnable d’arriver à une estimation de 4 milliards d’euros. » Se basant sur cette étude, France Festivals souligne que ces événements génèrent aussi des emplois sous la forme de 240 000 engagements artistiques, auxquels s’ajoutent 75 000 emplois indirects suscités par l’afflux de visiteurs. « Dans les milieux ruraux à faible densité démographique, un festival peut générer une intense activité culturelle dont les effets sont très positifs sur le vivre ensemble mais aussi sur l’attractivité territoriale, relève Alexandra Bobes. Certains festivals développent des activités permanentes qui passent par des coopérations avec les écoles, les prisons et les acteurs du tissu économique et social. Ils deviennent ainsi de véritables opérateurs culturels, sociaux et économiques à l’échelle de leur territoire. »