Sur un marché du prêt-à-porter asphyxié par la fast fashion, la marque française Asphalte se distingue par un système de précommande qui veut désormais faire ses preuves à l’international.
Quatre milliards de tonnes d’équivalent CO₂ par an. Ce total ahurissant n’est autre que le bilan des émissions générées par l’industrie textile (vêtements et chaussures), d'après les chiffres de l'Ademe. Soit plus que l’impact des vols internationaux et le trafic maritime réunis, précise l’Agence de la transition écologique. En d’autres termes, de quoi faire de la mode une des industries les plus polluantes au monde. Alors que la prise de conscience se fait attendre et que rien ne semble pouvoir enrayer le côté obscur de la force, des alternatives se développent. Créée à Paris en 2016, Asphalte est un de ces acteurs qui font bouger les lignes de l'e-commerce. Derrière cette marque de prêt-à-porter, deux hommes : William Hauvette, diplômé de l'Edhec qui cofonde en 2011 Six & Sept, une marque de pulls pour hommes fabriqués en Italie et vendus dans des enseignes multimarques, ainsi que Rodolphe Gardies, cofondateur et chief brand officer venu du monde du digital.
Dès le départ, tous deux misent sur le système de précommande. Un modèle qui présente de nombreux atouts, à écouter Rodolphe Gardies. « Ce principe de précommande va de pair avec le principe de cocréation puisque tout produit lancé sur le marché l’est à partir d’échanges avec les clients permettant de définir précisément le type de produit nécessaire, le prix et la qualité nécessaire », rappelle-t-il quant à une marque privilégiant un nombre particulièrement limité d’articles, avec des intemporels tels que la chemise idéale, le jean ultime, le pull parfait, le hoodie, le henley, la chemise légère ou encore le t-shirt ultime. Objectif affiché : « Des bonnes fringues. Point. », comme le clame le site web de cette DNVB affichant 23 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2022. « De ce fait, il n’y a quasiment aucun surplus excepté les retours, lesquels sont inférieurs à 10% tant chez les hommes que chez les femmes. D’autre part, nous n’avons presque pas de frais de stockage, ce qui nous permet de baisser les coûts et de proposer des tarifs plus attractifs sans pour autant rogner notre promesse de qualité », poursuit Rodolphe Gardies. À cela s'ajoute un intérêt comptable de premier ordre : l'entreprise n'a pas besoin d’une trésorerie fournie pour lancer la production. « On reçoit l’argent du client avant de payer le fournisseur », confirme-t-il. Ultime intérêt : l’empreinte environnementale avec par exemple très peu d'invendus en fin de saison. Un critère sur lequel Asphalte se montre intransigeant et transparent pour faire valoir son statut de bon élève sur le volet RSE, incarné par la volonté de donner un maximum d’informations quant au cycle de vie des articles.
Cible urbaine
Le seul défaut de la précommande concerne finalement le client, puisque celui-ci doit attendre « en moyenne deux mois entre le moment où il passe commande et celui où il reçoit l'article », résume Rodolphe Gardies. Difficile pour autant d’aller plus vite, la marque s’interdisant les moyens de transport les plus polluants tels que l’avion et travaillant avec plusieurs centaines de fournisseurs et de confectionneurs soigneusement sélectionnés pour leurs pratiques et leurs savoir-faire. « Le but aujourd’hui consiste plutôt à réduire la pénibilité de l’attente que l’attente elle-même. C’est pour cette raison que le choix a été fait de tenir les clients régulièrement informés des avancées », détaille le chief brand officer. Manière de rappeler qu’un pull ou un pantalon ne pousse pas dans les arbres ? « Il y a un aspect pédagogique mais c’est aussi un moyen de créer un attachement et de donner une désirabilité au produit », juge le cofondateur quant à une logique de précommande qui fait des émules. Car ce modèle d'affaires à contre-courant de la fast fashion a inspiré d'autres marques tricolores. Parmi elles, Maison Cléo, Septem ou Patine. Malheureusement, « beaucoup n’ont pas survécu à la crise du covid », déplore Rodolphe Gardies, ne cachant pas que la pandémie a également fait tanguer le navire côté Asphalte. Pas de quoi néanmoins stopper la marche en avant d’une marque comptant à date 213 000 clients, répartis à parts égales entre les 30-40 ans, les 40-50 ans et les 50-60 ans. « Un tiers de nos clients français résident en Île-de-France », souligne-t-il quant à une cible essentiellement urbaine.
Première campagne TV
À ce modèle vertueux « en marche vers la certification B-Corp » et qui a donc trouvé rapidement son public, vient se greffer une stratégie de communication entièrement développée en interne. Manière de garder la main ? « La confiance entre la marque et la clientèle est très difficile à obtenir et très facile à perdre. La volonté est de maîtriser le volet communication pour être au plus proche de notre identité », confirme-t-il. Conséquence : la création, la production de contenu et les stratégies de diffusion sont majoritairement réalisées de manière intégrées. Ce qui n’empêche pas Asphalte, très présent en social et CRM, d’investir de nouveaux canaux de communication, à l’image de la première copy TV de la marque en 2023 ainsi que de l’ouverture d’un pop-up store inédit dans la capitale, lequel a drainé en deux mois plus de 20 000 personnes dont 4 000 sont devenues clientes. Des résultats très satisfaisants qui devraient pousser la marque à renouveler l’expérience en fin d’année, la sortie de son application faisant parallèlement office d’actualité chaude.
Levée de fonds
Prochaine étape pour Asphalte : faire la démonstration à l’international – et dans un premier temps en Europe – de la viabilité de son business model, et ce indépendamment de la conjoncture. Pour l'heure, environ un quart du chiffre d'affaires est réalisé hors des frontières de l'Hexagone, 15% des acheteurs étant installés en Allemagne. Le plus gros marché de la marque à l'étranger devant la Grande-Bretagne. « Nous voulons prouver que ce modèle de précommande est rentable, scalable et peut être reproduit dans d’autres pays », synthétise Rodolphe Gardies. Dans cette optique, l’entreprise, qui dénombre une quarantaine de salariés, a bouclé sa première levée de fonds en mars dernier, à hauteur de 5 millions d'euros. Un tour de table auquel ont pris part la société d'investissement Kostogri et les fonds M Capital, Quadia et Naco. De quoi montrer la voie d’une durabilité accessible.
Chiffres clés
40 Nombre de salariés.
213 000 Nombre de clients.
25% Part du chiffre d’affaires réalisé à l’international.
33% Part des clients français résidant en Île-de-France.
5 millions d’euros Montant de la levée de fonds réalisée en mars 2023 par la marque.
23 millions d’euros Chiffre d’affaires 2022 de la marque.