Directrice de la communication d'Orpea, Frédérique Raoult revient sur ses priorités en termes de gestion de crise. C'est sa première prise de parole depuis sa nomination en juillet 2022 au sein de l’entreprise secouée par le scandale lié à des maltraitances dans ses Ehpad.
Pourquoi avoir accepté de venir après un tel scandale ?
Frédérique Raoult Je n’avais pas lu le livre [Les Fossoyeurs, de Victor Castanet, sorti en janvier 2022]. J’avais certes entendu parler de l’affaire. Je connaissais le secteur plutôt par Korian car Orpea avait une communication corporate assez discrète. «Cela ne va pas être possible», me suis-je dit au début. Puis on m’a parlé reconstruction, transformation majeure et j’ai commencé à y regarder de plus près. Ce qui m’a intéressée, c’est la mission : prendre soin des personnes fragiles. La refondation a été lancée le 15 novembre. Le travail est de taille pour retrouver la confiance de nos parties prenantes : collaborateurs, patients, résidents, familles. Un chantier multi-sujets où la communication est très importante avec des sujets de réputation, de confiance, d'engagement. Au cours de mon parcours, j’ai beaucoup travaillé sur la transformation : chez Suez, qui s’est largement transformé pendant les près de trente ans où j’y étais, puis chez Keolis, confronté à la baisse de fréquentation de ses réseaux de transport pendant les confinements.
La refondation en est aujourd’hui à l’étape d’un film présentant vos valeurs…
Parmi les chantiers figure un retour aux fondamentaux, à ce qui nous unit. Les Fossoyeurs a mis au jour le sujet sur les malversations des dirigeants qui ont beaucoup abîmé l’entreprise. D’où l’idée de repartir des valeurs, qui ont toujours existé mais n'étaient pas formulées de cette façon, pour retravailler sur le lien entre les collaborateurs, l’entreprise, la tête de l’entreprise renouvelée, les patients, les résidents. Le film a été réalisé avec l’agence Jésus & Gabriel. Notre première collaboration a démarré en mai, après un appel d’offres. Ce qui nous a plu est le parti pris autour des 76 000 (collaborateurs), 76 000 forces qui font l'entreprise. Jusqu'à présent, Orpea avait une communication groupe discrète, dotée de peu d’outils. Notre plan de refondation s’appelle « Orpea change ! Avec vous et pour vous », ce qui traduit l’ouverture, la transparence, la reconstruction.
Ces valeurs [engagement pour l’humain, goût pour la vie, soif d’apprendre, esprit d’entraide] ont été établies à partir de rencontres avec des patients, des résidents, des familles et des collaborateurs organisées en mai dans une cinquantaine de maisons de retraite médicalisées (sur 270), des entretiens avec le conseil d’administration et le comité de direction ou encore via une plateforme collaborative ayant recueilli 90 000 contributions. Les échanges portaient sur ce qui nous lie, le sens de notre mission. L’idée était de remettre à plat tous les sujets ayant connu des dysfonctionnements (restauration, parcours de soin…). Par exemple, les collaborateurs ont fait émerger leurs frustrations sur la problématique de temps.
Début 2023, Orpea était à nouveau accusée de maltraitances récentes. N'est-il pas prématuré de revoir votre plateforme de marque alors que les problèmes de fond ne semblent pas encore réglés ?
Les valeurs, c’est le socle. Quand on a vécu ce qu’on a vécu, dans une entreprise dont le sens aurait pu être perdu, il s’agit de se reconcentrer et de travailler avec ce qui nous réunit, notre boussole. La consultation était déjà un processus d’ouverture et de transparence. Nous communiquons... Ce qui semble évident mais ce n’était pas le cas jusqu’à présent. L'écriture de ces valeurs a été un moment clé pour réengager les collaborateurs autour du projet de refondation. Il s’agit de rebâtir le socle sur lequel s'appuient nos fondations.
Certes, ce sont des valeurs hautes, mais on peut les traduire vite opérationnellement. Nous avons établi des « do » et des « don’t » pour chacune. Par exemple, « engagement pour l’humain » implique le respect de la personne, donc de frapper avant de rentrer dans une chambre, ne pas laisser la porte ouverte. Nous avons aussi créé un jeu de cartes sur nos valeurs partagées, pour faciliter l’appropriation en équipe, au plus profond de l’entreprise. Bien sûr, cela ne suffit pas mais le message est : on travaille ensemble, on vous a écoutés et vous pouvez incarner.
Quelles seront les prochaines étapes ?
Nous travaillons sur notre raison d’être et plus tard le projet serait de passer en entreprise à mission. Nous ferons sans doute évoluer la marque non pour effacer le passé mais parce que nous portons un nouveau projet. Sur ce point, nous solliciterons sans doute aussi les collaborateurs.
Chiffres clés
76 000. Nombre de collaborateurs d’Orpea, dont 28 000 en France.
4,7 milliards d'euros. Chiffre d’affaires global.
Le regard de deux experts sur le film Orpea
Le film suscite chez les communicants de crise interrogés des analyses contrastées.
Rassurer. Tel est l’enjeu. Pour remonter la pente, il y a des passages obligés en termes de communication : reconnaître la crise et ses responsabilités, tirer des enseignements pour corriger et éviter que la situation ne se reproduise, s’engager à progresser, valoriser ses progrès… Le film en est une étape. Présenté alors que les créanciers et actionnaires ont voté, fin juin, le plan de sauvetage d'Orpea, il divise.
« Je le vois comme un modèle du genre, qui pourrait servir d'étude de cas pour les étudiants en communication. Il coche toutes les cases de la communication de crise responsable », soutient Frédéric Fougerat, président de Tenkan Paris, agence spécialisée en communication de crise. Par exemple, il replace le sujet dans un contexte et rappelle le rôle de la société vis-à-vis des plus faibles, il appelle à l’émotion en citant les « premières lignes », comme pendant le covid, et à la reconnaissance de la crise.
Un avis que ne partage pas Olivier Doussot, dirigeant d’OmniGibus, agence conseil en communication de crise et sensible. « Il y a un problème de positionnement du film qui mélange des objectifs de com corporate, interne et externe. Il veut parler à toutes les cibles mais finalement pour chacune délivre de messages confus », note-t-il, avant d’estimer que la crise est abordée « un peu comme un accident » à travers la « formulation brouillard » « d’événements graves », et d’identifier une contradiction entre les valeurs de la « civilisation » mentionnée dans le film et les faits reprochés à Orpea. Il aurait, selon lui, fallu y revenir autrement.
Autre réserve : le film ne dit rien de la façon dont le changement va être opéré. Une bonne pratique aurait été de « travailler des piliers ou objectifs et non des valeurs. Des éléments concrets et non des intentions », analyse-t-il. « Les engagements restent généraux », concède Frédéric Fougerat. Ce serait la limite de l’exercice : ne pas trop en dire pour ne pas être pris en défaut ou parce que le projet est en construction, au risque de laisser sur sa faim.