[Tribune] L'ère d'une consommation débridée est bel et bien révolue. Nous allons devoir apprendre à consommer de façon plus mesurée. Aux communicants de rendre désirables ces marques de grande sobriété.
Je ne vais rien vous apprendre, nous avons adopté depuis les Trente Glorieuses une consommation débridée, symbole d’une liberté absolue, retrouvée, assumée et revendiquée. Dans ce monde, la sémantique marketing voue un culte à la grandeur. Tout est grand – la consommation, la distribution, les surfaces… –, grand ne signifiant pas tant la grandeur que la masse, l’opulence, l’abondance comme diraient certains. L’inaccessible tient lieu de rêve. La quantité aussi.
Alors forcément, c'est difficile d’abandonner l’opulence et ses espérances, de tirer un trait sur cette promesse qui porte en elle tant de jouissance, d’allégresse et d’impulsion. Mais, il ne vous a pas échappé que nous avons changé d’époque. Inexorablement, nous (les citoyens, les individus, les gens, les marques, les entreprises) allons maintenant imaginer, créer, lancer, communiquer et consommer des marques de grande sobriété.
La consommation va rester ostentatoire, c’est sa nature. Mais l’ostentation va changer de caractère. Singularité, sens, utilité, crédibilité seront les nouvelles balises des marques de grande sobriété. N’en déplaise aux partisans du « droit à la paresse », la sobriété ne demandera pas moins de travail mais davantage. Réduire les consommations inutiles, relocaliser toutes les productions qui peuvent l’être, produire autrement, réapprendre tant de gestes, de rituels, de traditions oubliées… On n’imagine pas à quel point nos modes de vie vont être bousculés et ce que nous allons devoir reconsidérer pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Tous nos repères et toutes nos pratiques vont se transformer.
Et la pub dans tout ça ? Elle a, sans conteste, participé à forger cet imaginaire matérialiste depuis 50 ans. Au-delà des qualités purement fonctionnelles des produits, elle a donné un statut aux marques auxquelles les consommateurs se sont identifiés. De sa voiture au contenu de son assiette, à sa paire de sneakers, à ses vacances ou sa maison, la publicité a créé le désir et projeté, pour chacun, une ascension possible. Elle a laissé penser, voire encouragé à penser que nous devions en permanence vivre au-dessus de nos moyens et au-dessus de ceux de la planète. Face à la sobriété, sa raison d’être vacille.
De nouveaux récits à inventer
Revenons à sa vocation : la publicité sert à rendre public. Elle (et tous les types de communication qu’elle implique : social media, influence, activations, RP…) va revenir à ce principe fondateur. Donner à voir, à comprendre, à éveiller, à imaginer, à créer, à agir, en façonnant d’autres imaginaires – végétaliser sa nourriture, démocratiser le flexitarisme, être mobile à moindre vitesse… Elle ne doit pas asséner des injonctions (qui ne sont visiblement pas efficaces) mais créer le désir d’une consommation aux nouveaux contours : soulager l’éco-anxiété plutôt qu’alourdir la charge mentale de la transition, rendre l’écologie lifestyle, inventer ces nouveaux récits d’une consommation sobre.
La publicité, comme tous les autres secteurs économiques, possède dans ses rangs, au sein de sa nouvelle génération, des convaincus et déjà engagés dans cette voie. Ils seront, à n’en pas douter, de plus en plus nombreux à négocier ce virage. La sobriété nous questionne tous et nous oblige collectivement. L’actualité récente nous a donné l’occasion de relire les mots d’un visionnaire, Antoine Riboud, lors de son discours de Marseille prononcé il y a 50 ans : « La responsabilité de l’entreprise ne s’arrête pas au seuil des usines ou des bureaux. Son action se fait sentir dans la collectivité tout entière et influe sur la qualité de vie de chaque citoyen. » Agissons donc. Aux (nouveaux) consultants et aux (nouveaux) communicants la mission de concevoir et de rendre désirables des marques de grande sobriété en lieu et place des marques de grande consommation.