Les marques Terr’Africa et Terr’Ivoire ont vu le jour pour valoriser sur les marchés africains les aliments de producteurs locaux. Un projet de longue haleine porté par l’agence de branding Team Créatif.
Abidjan, été 2022. Son packaging jaune et beige attrape l’œil dans les rayons de boutiques et sur les étals de vendeurs de rue : la mangue séchée vendue sous la marque Terr’Ivoire cherche ses premiers clients. Ce test de marché est l’aboutissement d’une démarche au long cours, initiée il y a deux ans par le Fonds international de développement agricole (Fida), lié aux Nations unies, avec l’agence de branding Team Créatif. « En 2020, notre fondatrice Sylvia Vitale Rotta, née en Afrique, a rencontré le Fida. Ils ont eu des échanges sur la nécessité de créer une marque pour valoriser les producteurs locaux et les aider à développer leurs produits », confie Françoise Jolivet Foste, responsable du développement à l’international de l'agence. Une marque 100% africaine, qui n’a pas vocation à être vendue sur d’autres continents. Et au-delà de la marque, c’est toute la structuration d’une filière qu’il s’agissait de soutenir. Car le projet concerne la chaîne de valeur globale, de la production à la distribution. L’ambition consistait, au-delà de la marque, à fédérer les producteurs, construire les réseaux d’acheminement et de distribution, structurer la diffusion. Au début, c’est sur la filière attiéké (semoule de manioc) qu’ont planché les parties prenantes, avant de se concentrer sur la mangue.
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« La Côte d’Ivoire produit 160 000 tonnes de mangues par an, dont seulement 40 000 sont commercialisées, observe Ismaïla Cissé, directeur de la stratégie et de la mobilisation des ressources de Côte d’Ivoire PME, agence qui aide les entreprises à se développer (pas intégrée au projet Terr’Ivoire). Beaucoup de fruits se perdent car la chaîne de valeur n’est pas construite. Les productions sont relativement éloignées des zones portuaires et il faut trouver des acheteurs. » À cela s’ajoute que les « producteurs ne sont pas industrialisés, la mangue est souvent découpée à la main par les femmes, dans de toutes petites manufactures », dessine Françoise Jolivet Foste.
Dans ce cadre, l’agence est allée au-delà de ses prérogatives habituelles. « À ma connaissance, il n’y a pas eu d’appel d’offres mais une méthodologie validée au sein du Fida qui ne travaille qu’avec des fournisseurs triés sur le volet », note au passage la responsable. Dans son champ de compétences, l’enseigne est intervenue sur la stratégie et la création de la marque ainsi que sur du conseil en packaging. « Nous avions besoin de créer une marque qui fédère plusieurs pays en donnant une identité propre à ce continent », déclare-t-elle encore. Une marque « fédératrice », Terr’Africa, voit ainsi le jour, déclinable selon les pays où elle sera développée, comme à travers Terr’Ivoire pour la Côte d’Ivoire. L’agence sélectionne aussi les couleurs, la typographie, les éléments graphiques, incluant un éléphant, jugé symbolique du continent. Côté packaging, elle met au point des sachets adaptés. Elle réserve le travail de communication au moment où la marque sera lancée à grande échelle.
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Plus inhabituel pour une agence de branding, Team Créatif intervient aussi pour aider les producteurs locaux, qu’elle est venue rencontrer à plusieurs reprises, à optimiser leur organisation. « Un travail de terrain avec des recommandations sur comment mieux produire, rendre le lieu plus agréable, respecter les normes d’hygiène, se structurer », synthétise Françoise Jolivet Foste. De son côté, Côte d’Ivoire PME travaille à un projet qui vise plus particulièrement à mettre en relation les acheteurs et les vendeurs de mangues, via une plateforme web. Celle-ci, financée par l’Union européenne, servira aussi à diffuser de l'information auprès de ses utilisateurs. « Nous venons de signer la campagne de faisabilité, c’est un projet pour fin 2023 », indique Ismaïla Cissé. Quant au test de l’été dernier ? Les résultats sont en cours d’analyse, avant un déploiement à plus grande échelle souhaité en 2023. Entre 30 et 40 boutiques et vendeurs de rue y ont participé et entre 5000 et 6000 sachets ont été vendus en trois mois.
De l’Afrique à l’assiette
Qu’en est-il de la vente de produits alimentaires africains en France ? Éléments de réponse.
Les saveurs et produits africains opèrent une percée sur différents marchés, notamment la France. C’est l’une des tendances émergentes repérées par le SIAL, salon international de l’alimentation, qui a clos ses portes le 19 octobre à Paris (Villepinte). « L’enjeu de l’Afrique, c’est d’abord la souveraineté alimentaire pour nourrir ses habitants », souligne Nicolas Trentesaux, directeur général de SIAL Network. Cela étant, « les exportations demeurent faibles car il n’y a pas beaucoup d’infrastructures. L’Afrique est principalement distribuée par les marchés ethniques mais pas encore ''mainstream''. L’enjeu est de gagner en visibilité avec les produits », poursuit-il. Et ce n’est pas la seule problématique à résoudre. « Les grands défis sont la logistique, la capacité des acteurs à produire en quantité suffisante pour exporter et la représentativité du produit », détaille Ismaïla Cissé, directeur de la stratégie et de la mobilisation des ressources de Côte d’Ivoire PME, agence de soutien au développement des PME, qui, au SIAL, a accompagné des entreprises venant chercher des distributeurs. Parmi elles, Kokojoo, fournisseur de boissons et snacks à base de jus et pelures de cacao.
Dans les faits, les produits africains en GMS [grande et moyenne surface] demeurent rares. Mais certaines marques ont réussi à s’y imposer. C’est le cas de Rama Cereal, PME abidjanaise qui compte Carrefour parmi ses partenaires. « Un fonds d’investissement vient d’intégrer l’entreprise pour lui permettre de s’agrandir et d’investir dans des outils de production », précise Ismaïla Cissé. Une façon d’augmenter ses chances de réussite.
Pourtant, les produits africains ont des atouts à faire valoir (goût, simplicité…). À condition de savoir le démontrer aux consommateurs européens. « Pour sortir du marché ethnique, il faut faire un travail de pédagogie sur l’utilisation des produits et des ingrédients, sur le packaging, sur le fait de pénétrer la restauration qui souvent initie des modes en GMS », développe Nicolas Trentesaux. Le chef Mory Sacko, étoilé au Michelin, apparaît comme un ambassadeur. Top Chef et autres programmes culinaires constituent aussi des accélérateurs de visibilité.